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gloire même qu’il vient d’acquérir par la justice qu’il rend à ses ennemis, et par la modestie bien sincère avec laquelle il parle de ses succès. Vous êtes convenu avec moi, et vous avez bien raison, que la destruction de sa puissance eût été un grand malheur pour les lettres et pour la philosophie. Les gazettes ont dit, mais sans fondement, que j’étais président de l’académie ; je ne puis douter, à la vérité, que le roi ne le désire, et j’ose vous dire que l’académie même m’a paru le souhaiter beaucoup ; mais mille raisons dont aucune n’est relative au roi, et dont la plupart sont relatives à moi seul, ne me permettent pas de fixer mon séjour en ce pays. Le roi me parle souvent de vous. Il sait vos ouvrages par cœur, il les lit et relit, et il a été charmé tout récemment de la lecture qu’il a faite de vos additions à l’Histoire générale. Je puis vous assurer qu’il vous rend bien toute la justice que vous pouvez désirer. Le marquis d’Argens me charge de vous faire mille compliments de sa part ; il vous regrette beaucoup, et me le dit souvent ; il n’en fait pas de même de Maupertuis qui, ce me semble, n’a pas laissé beaucoup d’amis dans ce pays.

Je ne vous donne aucune nouvelle de littérature, car je n’en sais point ; et vous savez combien elles sont stériles dans ce pays où personne, excepté le roi, ne s’en occupe. Que dites-vous du bel arrêt du parlement de Paris pour consulter la faculté de théologie sur l’inoculation, cette même faculté qu’il a déclarée ne pouvoir être juge en matière de sacrements. Cette nouvelle sottise française nous rend la fable des étrangers. Il faut avouer que nous ne démentons notre gloire sur rien.

Adieu, mon cher et illustre maître. Comme je compte partir à la fin de ce mois pour retourner en France, adressez-moi votre réponse à Paris. Je compte toujours faire le voyage d’Italie, et vous embrasser en allant ou en revenant.


Paris, 8 octobre 1763.


Je ne me pique, mon cher et illustre maître, d’être ni aussi sublime que Platon, s’il est vrai qu’il soit aussi sublime qu’on le prétend, ni aussi obscur qu’il me paraît l’être ; vous me faites donc trop d’honneur de me comparer à lui. À l’égard de celui que vous appelez Denis de Syracuse, et que vous avouez valoir un peu mieux, je crois que s’il était réduit à se faire maître d’école, comme l’autre, les généraux et les ministres feraient bien de se mettre en pension chez lui. Ce qu’il y a de certain, c’est que je suis plus affligé que je ne puis vous