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Agrippine, constamment ulcérée, et de plus malade, ayant reçu une visite de l’empereur, pleura long-temps sans rien dire, et finit par des reproches et des prières : « Qu’il eût pitié de l’abandon où elle était ; qu’il lui donnât un mari ; qu’elle était jeune encore ; que le mariage était l’unique consolation des honnêtes femmes ; qu’il se trouverait des citoyens qui daigneraient prendre soin de l’épouse de Germanicus et de ses enfans. » Tibère sentit combien elle demandait de pouvoir ; cependant, pour ne laisser voir ni ressentiment, ni crainte, il la quitta sans répondre à ses instances.

Sa douleur imprudente fut bien plus aigrie par des émissaires de Séjan, qui, avec un air de zèle, l’avertirent de se méfier du poison et de ne pas manger avec son beau-père. Agrippine, ne sachant pas dissimuler, était à table auprès de l’empereur, sans lever les yeux, sans dire un mot, sans toucher à rien. Tibère en fut averti, ou s’en aperçut ; pour s’en assurer plus méchamment, il loue des fruits qu’on avait servis, et les présente à sa belle-fille. Fortifiée par là dans ses soupçons, elle rend ces fruits à ses esclaves sans les goûter. Tibère, sans lui adresser de reproche, dit, en se tournant vers sa mère, qu’on lui passerait quelque sévérité pour une femme qui le traitait en empoisonneur. On crut dès-lors que la perte d’Agrippine était résolue, et que l’empereur cherchait à la faire mourir en secret, ne l’osant en public.

Prédiction des devins au sujet de Tibère.

Selon les astrologues, l’état du ciel, au départ de Tibère, annonçait qu’il ne reviendrait jamais à Rome. Cette prédiction fut fatale à plusieurs, qui concluaient et répandaient que sa mort était prochaine ; car on ne pouvait prévoir qu’il se condamnerait à un exil de onze ans. Bientôt on reconnut combien l’astrologie est près du mensonge et voit confusément le vrai : sur l’absence de Tibère, elle prédisait juste, mais laissait ignorer que, jusqu’à sa dernière vieillesse, il resterait dans les lieux voisins de Rome, et souvent en toucherait les murs.

Supplice de Sabinus.

Le consulat de Silanus et de Nerva commença d’une manière horrible. On traîna en prison Titius Sabinus, illustre chevalier romain, à cause de son attachement pour Germanicus. De tous les courtisans d’Agrippine et de ses enfans, seul fidèle à les cultiver, à se montrer chez eux ou avec eux, il se fit louer des gens de bien et haïr des méchans. Ses délateurs