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Discours prononcés dans le sénat sur les lois militaires.

Severus Cécina demanda que les gouverneurs de province n’y menassent point leurs femmes : il dit et répéta, « qu’il avait une épouse fidèle, mère de six enfans, et qu’en la retenant dans l’Italie, quoiqu’il eût servi quarante années en plusieurs provinces, il avait pratiqué ce qu’il exigeait des autres ; que l’ancienne défense de traîner des femmes chez les alliés et les étrangers était très-sage ; qu’un tel cortège nuisait par son luxe durant la paix, par ses frayeurs durant la guerre, et donnait aux troupes romaines l’air d’une armée de barbares ; que ce sexe était non-seulement faible et incapable de fatigues, mais, dès qu’il le pouvait, avide de dominer, ambitieux et méchant ; qu’il se mêlait parmi les soldats et disposait des centurions ; qu’une femme avait, en dernier lieu, présidé à l’exercice des cohortes et à la revue des légions ; que si les gouverneurs étaient accusés de péculat, on en taxait surtout leurs femmes ; que chères à la lie des provinces, elles entreprenaient et terminaient les affaires ; qu’on avait deux généraux à honorer et deux juges à craindre, dont le plus tyrannique était la femme ; qu’autrefois enchaînées par les lois Oppiennes et par d’autres, elles avaient brisé leurs liens pour commander dans les familles, au forum et dans les armées. »

Cet avis eut peu de partisans ; la plupart objectaient qu’il ne s’agissait point de cette affaire, et que Cécina n’était pas un censeur assez grave d’un tel abus. Valerius Messala, dont l’éloquence retraçait celle de son père, répondit, « qu’on avait adouci et perfectionné les mœurs anciennes ; que l’ennemi n’était plus aux portes de la ville, ni les provinces révoltées ; que les dépenses restreintes aux besoins des femmes n’étaient pas onéreuses aux maris, encore moins aux alliés ; que partageant le reste avec leurs époux, elles ne nuisaient à rien durant la paix ; que sans doute la guerre demandait des hommes libres : mais quel plus doux soulagement qu’une épouse après tant de fatigues ! Quelques unes ont succombé, dit-on, à l’avarice ou à la vanité ; n’a-t-on pas souvent reproché plus d’un vice aux magistrats mêmes ? On ne laisse pas d’en envoyer dans nos provinces. Mais les maris sont corrompus par leurs femmes ? Tous ceux qui n’en ont point sont-ils donc irréprochables ? Les lois Oppiennes ont autrefois paru nécessaires à la république ; depuis on a cru à propos d’en mitiger la rigueur. En vain nous rejetons notre lâcheté sur nos femmes ; leurs désordres sont la faute des maris : la faiblesse d’un ou de deux généraux doit-elle arracher aux autres les compagnes de leurs