Page:D’Alembert - Œuvres complètes, éd. Belin, IV.djvu/82

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de Marc-Antoine qui avait fait la guerre à la patrie, et de Jules-Antoine qui avait déshonoré la maison d’Auguste. Il épargna la flétrissure à M. Pison, et lui laissa les biens de son père ; l’argent, comme je l’ai dit, le touchait peu ; et la honte d’avoir sauvé Plancine le rendait plus traitable. Valerius Messalinus ayant proposé d’élever une statue d’or à Mars vengeur, et Cécina Severus un autel à la vengeance, Tibère représenta qu’il fallait réserver de tels monumens pour les succès du dehors, et le voile de la tristesse pour les malheurs domestiques.

Messalinus proposa de remercier Tibère, Livie, Antonia, Drusus et Agrippine, d’avoir vengé Germanicus ; il ne parla point de Claude. L. Asprenas demanda à Messalinus en plein sénat, s’il avait omis à dessein ce nom, qui aussitôt fut joint aux autres. Plus je réfléchis sur l’histoire ancienne et moderne, plus je vois la fortune se jouer des choses humaines. Celui qu’elle réservait secrètement pour le trône, était le dernier que l’opinion, l’espérance et l’estime publique y auraient destiné.

Peu de jours après, l’empereur engagea le sénat à donner le sacerdoce à Vitellius, à Veranius et à Servæus. Il promit à Fulcinius son suffrage pour les charges, en l’avertissant de réprimer la fougue de son éloquence (63).

Ainsi fut vengée la mort de Germanicus, qui non-seulement dans le temps, mais encore depuis, a été si diversement racontée : tant les faits les plus importans sont douteux, les uns donnant pour certain le plus léger ouï dire, les autres défigurant à dessein la vérité ; et la postérité croit être instruite (64).

Portrait de Tibère et mort d’Arminius.

Le peuple se plaignant de la cherté du blé, Tibère en fixa le prix, et fit donner aux vendeurs deux sesterces par boisseau. Cependant il refusa le titre de père de la patrie, qu’on lui avait déjà déféré, et reprit durement quelques courtisans qui l’appelaient Dieu (65), et ses occupations divines : tant la servitude même marchait par une route étroite et glissante (66), sous un prince qui détestait la flatterie et craignait la liberté.

Je trouve dans les historiens et les mémoires du temps, que le sénat reçut alors une lettre d’Adgandestrius, chef des Cattes, qui offrait de faire périr Arminius[1] par le poison, si on voulait lui en envoyer. Tibère répondit, que Rome se vengeait de ses ennemis à découvert, les armes à la main, et non par des noirceurs secrètes. Il croyait par là s’égaler aux anciens généraux (67), dont les avis garantirent Pyrrhus du poison.

  1. Général des Germains, qui avait combattu les Romains avec succès. (Voyez plus haut.)