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cusateurs, mais comme témoins. Tibère fut prié d’évoquer l’affaire à lui (56). L’accusé le désirait : il craignait l’animosité du peuple et du sénat, se flattant, au contraire, que l’empereur, lié par la complicité de Livie, braverait le cri public ; et qu’un seul juge discernerait mieux le vrai d’avec les imputations, qu’un corps entraîné par la prévention et la haine (57). Tibère n’ignorait pas sa mauvaise réputation et le danger d’un tel jugement ; il reçut donc devant quelques courtisans les charges et les défenses, et renvoya le tout au sénat.

L’accusé demanda pour défenseurs T. Arruntius, T. Vinicius, Asinius Gallus, Æserninus Marcellus et Sextus Pompée, qui s’excusèrent sous divers prétextes. M. Lepidus, L. Pison et Livenius Regulus s’en chargèrent. Toute la ville se préparait à observer jusqu’où les amis de Germanicus porteraient le zèle, Pison la confiance, et si Tibère renfermerait ou laisserait voir ses sentimens. Jamais le peuple n’eut les yeux plus ouverts sur lui, et ne se permit à son égard plus de discours secrets ou un silence plus soupçonneux.

S’étant rendu au sénat, il dit avec une modération étudiée : « Que Pison, autrefois ami et lieutenant d’Auguste, avait été nommé, de l’avis du sénat, pour aider Germanicus dans le gouvernement de l’Orient ; qu’il s’agissait de juger avec intégrité si, ayant aigri et bravé ce jeune prince, il s’était réjoui de sa mort, ou s’il en était coupable. S’il a manqué d’égards pour son général, s’il a vu sa perte et ma douleur avec joie, je le haïrai, je l’éloignerai de ma cour, je vengerai Tibère, et non l’empereur. Mais s’il est convaincu d’un crime dont les lois vengent même le dernier des hommes, c’est à vous, sénateurs, à consoler, par une juste sévérité, les enfans de Germanicus et son père. Examinez encore si Pison a excité les troupes à la révolte, gagné les soldats pour se rendre indépendant, ressaisi son gouvernement à main armée, ou si ce bruit est faux, et l’ouvrage de ses accusateurs. Leur zèle indiscret m’offense avec justice. A quoi bon exposer nu le corps de Germanicus, l’abandonner aux regards du peuple, et répandre chez les étrangers même qu’il est mort de poison, si ce crime a jusqu’ici besoin d’être prouvé ? Je pleure, et je pleurerai toujours mon fils ; mais je n’empêche point l’accusé de produire tout ce qui peut servir à sa défense, même les torts que peut avoir eus Germanicus. Vous m’affligeriez, si le triste intérêt que je prends à cette cause vous faisait prendre des imputations pour des preuves. Que les parens et les amis de l’accusé déploient en sa faveur leur zèle et leur éloquence, J’exhorte les accusateurs aux