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brûlé ; un tribunal à Épidaphné, où il avait cessé de vivre. Il serait difficile de compter ses statues et les lieux où on lui décernait un culte. On lui destinait parmi les orateurs un très-grand médaillon (48) d’or. Tibère dit « qu’il se bornerait à un médaillon pareil aux autres ; que le rang ne décidait point de l’éloquence, et qu’il suffisait à la gloire de Germanicus d’être compté parmi les anciens écrivains. » L’ordre des chevaliers donna le nom de Germanicus à l’escadron des jeunes gens, et demanda que son image fût portée à leur tête le quinze de juillet. La plupart de ces honneurs subsistent ; quelques uns furent négligés dès lors, ou ont été abolis par le temps.

Agrippine, continuant sa route malgré la saison et la mer, arriva dans l’île de Corfou, vis-à-vis de la Calabre. Là, accablée par la violence de sa douleur, elle fut quelques jours à reprendre ses esprits. Au premier bruit de son arrivée, ses plus intimes amis et la plupart des officiers qui avaient servi sous Germanicus, accoururent à Brindes, dont le port était le plus sûr et le plus proche. Une foule d’indifférens s’y rendit des villes voisines, les uns croyant faire leur cour, les autres par curiosité. Dès qu’on découvrit la flotte (49), le port, le rivage, les toits, tous les lieux d’où l’on pouvait l’apercevoir furent chargés de spectateurs. Ils se demandaient, les larmes aux yeux, s’ils la recevraient en silence ou avec des cris. Tandis que ces mouvemens les agitaient, la flotte s’approcha, non dans l’allégresse ordinaire aux rameurs, mais plongée dans la tristesse. A peine Agrippine fut-elle débarquée avec deux de ses enfans, les yeux fixés en terre (50), et tenant l’urne fatale, qu’un cri général se fit entendre. On ne distinguait ni proches, ni étrangers, ni femmes, ni hommes ; on reconnaissait seulement les nouveaux spectateurs à une douleur plus marquée que celle du cortège d’Agrippine, épuisé et rassassié de larmes.

Tibère avait envoyé deux cohortes prétoriennes, avec ordre aux magistrats de la Calabre, de la Fouille et de la Campanie de rendre à la mémoire de son fils les derniers devoirs. Les cendres étaient portées sur les épaules des tribuns et des centurions, précédées des enseignes sans ornement, et des faisceaux renversés. Dans les colonies où elles passaient, le peuple en deuil, les chevaliers en habits de cérémonie, brûlaient des habits, des parfums, et d’autres présens funèbres, selon la richesse du lieu. Les villes les plus éloignées accouraient, et, témoignant leur douleur par des cris et des larmes, élevaient des autels pour sacrifier aux dieux mânes. Drusus[1] alla jusqu’à Terracine, ac-

  1. Fils de Tibère, et frère de Germanicus par l’adoption que Tibère avait faite du dernier.