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que les magistrats fussent élus tous les cinq ans ; que les lieutenans des légions, qui n’avaient pas encore obtenu la préture, y fussent désignés sur-le-champ, et que le prince nommât douze candidats pour chaque année. Ce discours décelait l’intention de sonder les secrets de l’Empire. Tibère, feignant de n’y voir que l’augmentation de sa puissance, dit qu’il était trop pénible pour sa modération, d’avoir tant de choix à faire et à différer ; qu’à peine dans les élections annuelles, on évitait de désobliger, même en consolant du délai par une espérance prochaine ; quels ennemis ne se ferait-on pas de tous ceux qu’on rejetterait à cinq ans ? comment prévoir, dans un si long espace de temps, les dispositions, les alliances, la fortune de chacun ? que la nomination faite une seule année d’avance excitait l’orgueil ; que serait-ce si on l’anticipait de cinq ans ? que c’était quintupler les charges et renverser les lois, qui avaient fixé aux candidats le temps convenable pour montrer leurs talens, pour mériter les honneurs, et pour en jouir.

Par ce discours, modéré en apparence, il sut maintenir son pouvoir. Il aida aussi par des largesses quelques sénateurs. On n’en fut que plus étonné de le voir rebuter durement M. Hortalus, jeune homme d’une famille noble, petit-fils de l’orateur Hortensius, et dont l’indigence était connue. Auguste, par un présent de mille grands sesterces[1], l’avait engagé à se marier, pour empêcher cette illustre maison de s’éteindre. Le sénat étant donc assemblé dans le palais, Hortalus, au lieu d’opiner, montre ses quatre fils qu’il avait placés à l’entrée ; et regardant tantôt l’image d’Auguste, tantôt celle d’Hortensius parmi les orateurs, tint ce discours : « Sénateurs (39), j’ai donné le jour, non par choix, mais par le conseil du prince à ces infortunés, dont vous voyez le nombre et l’enfance. Mes ancêtres d’ailleurs méritaient une postérité. Pour moi, qui par les circonstances n’ai pu acquérir ni des richesses, ni la faveur du peuple, ni l’éloquence, ce bien de notre famille, je me contentait d’être pauvre sans en rougir, et sans être à charge aux autres. L’empereur m’a ordonné de me marier. Voici la tige et les descendans de tant de consuls et de dictateurs ; je ne le dis point par reproche, mais pour vous attendrir. Un jour. César, ces enfans obtiendront des honneurs de vos bontés ; en ce moment sauvez de l’indigence les petits-fils d’Hortensius, nourris par Auguste. »

La bonne volonté du sénat fut pour Tibère un motif de la combattre. Il fit à peu près celle réponse : « Si tout ce qu’il y a

  1. Environ cent mille livres. D’autres évaluent cette somme au double (Voyez les différentes dissertations publiées sur la valeur du sesterce.)