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son abord facile, son affabilité générale, vertus inconnues aux Parthes, étaient à leurs yeux des vices nouveaux ; ils haïssaient en lui le mal et le bien, également contraires à leurs mœurs.

Détails sur Germanicus.

Germanicus, à la veille d’une affaire décisive, voulut sonder les dispositions de ses troupes, mais par des moyens non suspects : il pensait que les centurions et les tribuns cherchaient moins à dire vrai qu’à plaire ; que les affranchis étaient rampans, les amis flatteurs ; que s’il assemblait les soldats, quelques uns parleraient, et ne seraient que répétés par les autres (35) ; mais qu’on voyait le fond de leur âme dans leurs repas militaires, où ils s’avouaient en liberté leurs espérances et leurs craintes.

A l’entrée de la nuit, accompagné d’un seul homme, et couvert d’une peau de bête sauvage, il sort par la porte Augurale (36), prend des sentiers inconnus aux sentinelles, traverse le camp, s’approche des tentes, et jouit de sa réputation. Les uns louaient sa naissance, les autres sa bonne mine, la plupart sa patience, sa douceur, le ton sérieux et la gaieté également aimable en lui ; tous promettaient de s’acquitter dans le combat, en immolant à sa vengeance et à sa gloire les perfides qui avaient rompu la paix.

Ils tinrent parole[1] ; Germanicus ayant harangué et loué les vainqueurs, éleva un trophée d’armes avec cette magnifique inscription : L’armée de Tibère César, victorieuse de l’Elbe au Rhin, a consacré ce monument a Mars, a Jupiter, a Auguste (37). Il ne se nommait point, soit qu’il craignît l’envie soit qu’il suffit pour lui d’avoir servi l’État.

On ne doutait pas que l’ennemi découragé ne songeât à demander la paix, et que la guerre ne fût terminée dans la prochaine campagne ; mais Tibère écrivait sans cesse à son fils, que le triomphe l’attendait, qu’il avait assez couru de hasards, assez remporté de victoires ; qu’il se souvînt des désastres que les vents et les flots seuls avaient causés, sans aucune faute du général ; que lui-même, envoyé neuf fois par Auguste en Germanie, avait, plus par la prudence que par la force, soumis les Sicambres, forcé à la paix les Suèves et leur roi Maroboduus ; que Rome étant vengée, on pouvait abandonner les Chérusques et les autres nations rebelles à leurs dissensions intérieures, Germanicus demandant un an pour terminer la guerre, Tibère tenta plus fortement sa modestie, lui offrant un second consulat, dont les devoirs exigeaient sa présence, et lui con-

  1. On peut voir dans Tacite le détail du combat et de la victoire de Germanicus.