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également Tibère, qui n’avait pourtant aucun sujet de le haïr, mais à qui il était suspect par ses richesses, son activité, ses talens et sa réputation. Car Auguste, dans ses derniers momens, parlant de ceux qui refuseraient de gouverner quoique capables, ou qui le souhaitaient sans en être dignes, ou qui le pouvaient et le désiraient, avait dit que Manius Lepidus y était propre, mais n’en voudrait point ; que Gallus en était avide, mais incapable ; qu’Arruntius le méritait, et l’oserait dans l’occasion. On s’accorde sur les deux premiers ; quelques uns nomment Pison au lieu d’Arruntius. Tous, à l’exception de Lepidus, succombèrent peu après sous des accusations suscitées par Tibère. Haterius et Scaurus blessèrent aussi ce prince soupçonneux, Haterius pour avoir dit : Jusques à quand, César, laisserez-vous la république sans chef ? Scaurus, pour avoir ajouté que Tibère n’ayant point usé de sa puissance tribunitienne pour s’opposer au rapport des consuls, le sénat espérait ne le pas trouver inexorable. Il s’emporta contre Haterius , et ne dit rien à Scaurus, contre lequel il était plus profondément ulcéré. Fatigué enfin par le cri général et les prières de chacun, il se relâcha peu à peu, non en se chargeant expressément de l’Empire, mais eu paraissant céder à tant d’instances.

Livie fut aussi accablée d’adulations : les uns voulaient l’appeler (23) mère de la patrie, et la plupart ajouter le nom de fils de Julie[1] à celui de César. Tibère répondit qu’il ne fallait pas prodiguer les honneurs aux femmes, et qu’il userait, pour les siens propres, de la même réserve. Au fond, dévoré de jalousie, et se croyant rabaissé par l’élévation d’une femme, il ne lui laissa pas même donner un licteur.

Séditions dans les armées.

Il y avait dans le camp un certain Percennius, autrefois chef de farceurs, puis simple soldat, insolent dans ses discours et instruit dans l’art des histrions pour attrouper la populace. Profitant de la simplicité de ses camarades, inquiets de leur sort depuis la mort d’Auguste, il les échauffait peu à peu durant la nuit par ses discours ; le soir, après la retraite des plus sages, il rassemblait les mutins : s’étant joint enfin d’autres chefs de sédition, il haranguait les soldats en leur demandant « pourquoi ils obéissaient en esclaves à quelques centurions et à très-peu de tribuns ; quand oseraient-ils se faire rendre justice, s’ils n’y forçaient par les prières ou par les armes un prince

  1. Ce nom était aussi celui de Livie. Voyez' le commencement du cinquième livre des Annales. D’ailleurs, Tacite a dit plus haut qu’Auguste, par son testament, avait adopte Livie dans la maison des Jules.