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ne tient pas le premier rang parmi les versificateurs. Voltaire est presque le seul de nos grands poëtes dont la prose soit du moins égale à ses vers ; cette supériorité dans deux genres si différens, quoique si voisins en apparence, est une des plus rares qualités de ce grand écrivain.

Telles sont les principales lois de l’élocution oratoire. On trouvera sur ce sujet un plus grand détail dans les ouvrages de Cicéron, de Quintilien, etc., surtout dans l’ouvrage du premier de ces deux écrivains qui a pour titre Orator, et dans lequel il traite à fond du nombre et de l’harmonie du discours. Quoique ce qu’il en dit soit principalement relatif à la langue latine, qui était la sienne, on peut néanmoins en tirer des règles générales d’harmonie pour toutes les langues.

Nous ne parlerons point ici des figures, sur lesquelles tant de rhéteurs ont écrit des volumes : elles servent sans doute à rendre le discours plus animé ; mais si la nature ne les dicte pas, elles sont roides et insipides. Elles sont d’ailleurs presque aussi communes, même dans le discours ordinaire, que l’usage des mots pris dans un sens figuré, est commun dans toutes les langues. Tant pis pour tout orateur qui fait avec réflexion et avec dessein une métonymie, une catachrèse, et d’autres figures semblables.

Sur les qualités du style en général dans toutes sortes d’ouvrages.

Je finis cet article par une observation qu’il me semble que la plupart des rhéteurs modernes n’ont point assez faite ; leurs ouvrages, calqués pour ainsi dire sur les livres de rhétorique des anciens, sont remplis de définitions, de préceptes et de détails, nécessaires peut-être pour lire les anciens avec fruit, mais absolument inutiles, et contraires même au genre d’éloquence que nous connaissons aujourd’hui. Dans cet art comme dans tous les autres, dit très-bien Fréret (Histoire de l’Académie des Belles-Lettres, tome XVIII, page 461), il faut distinguer les beautés réelles, de celles qui étant abstraites, dépendent des mœurs, des coutumes et du gouvernement d’une nation, quelquefois même du caprice de la mode, dont l’empire s’étend à tout, et a toujours été respecté jusqu’à un certain point. Du temps de la république romaine, où il y avait peu de lois, et où les juges étaient souvent pris au hasard, il suffisait presque toujours de les émouvoir, ou de les rendre favorables par quelque autre moyen : dans notre barreau, il faut les convaincre : Cicéron eut perdu à la grand’chambre la plupart des