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servation purement grammaticale, mais qui ne nous paraît pas inutile.

Cicéron, dans son traité intitulé Orator, fait consister une des principales qualités du style simple en ce que l’orateur s’y affranchit de la servitude du nombre, sa marche étant libre et sans contrainte, quoique sans écarts trop marqués. En effet, le plus ou le moins d’harmonie est peut-être ce qui distingue le plus réellement les différentes espèces de style.

Mais quelque harmonie qui se fasse sentir dans le discours, rien n’est plus opposé à l’éloquence qu’un style diffus, traînant et lâche. Le style de l’orateur doit être serré ; c’est par là surtout qu’a excellé Démosthène. Or en quoi consiste le style serré ? à mettre, comme nous l’avons dit, chaque idée à sa véritable place, à ne point omettre d’idées intermédiaires, trop difficiles à suppléer, à rendre enfin chaque idée par le terme propre : par ce moyen on évitera toute répétition et toute circonlocution, et le style aura le rare avantage d’être concis sans être fatigant, et développé sans être lâche. Il arrive souvent qu’on est aussi obscur en fuyant la brièveté qu’en la cherchant ; on perd sa route en voulant prendre la plus longue. La manière la plus naturelle et la plus sure d’arriver à un objet, c’est d’y aller par le plus court chemin, pourvu qu’on y aille en marchant, et non pas en sautant d’un lieu à un autre. On peut juger de là combien est opposée à l’éloquence véritable, cette loquacité si ordinaire au barreau, qui consiste à dire si peu de choses avec tant de paroles. On prétend, il est vrai, que les mêmes moyens doivent être présentés différemment aux différens juges, et que par cette raison on est obligé, dans un plaidoyer, de tourner de différens sens la même preuve. Mais ce verbiage, prétendu nécessaire, deviendra évidemment inutile, si on a soin de ranger les idées dans l’ordre convenable ; il résultera de leur disposition naturelle, une lumière qui frappera infailliblement et également tous les esprits, parce que l’art de raisonner est un, et qu’il n’y a pas plus deux logiques que deux géométries. Le préjugé contraire est fondé en grande partie sur les fausses idées qu’on acquiert de l’éloquence dans nos collèges : on la fait consister à amplifier et à étendre une pensée ; on apprend aux jeunes gens à délayer leurs idées dans un déluge de périodes insipides, au lieu de leur apprendre à les resserrer sans obscurité. Ceux qui douteront que la concision puisse subsister avec l’éloquence, peuvent lire pour se désabuser les harangues de Tacite.

Il ne suffit pas au style de l’orateur d’être clair, correct, propre, précis, élégant, noble, convenable au sujet, harmo-