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touchés en plusieurs endroits, et la plupart des changemens ont pour but de rendre la traduction encore plus énergique et plus concise, sans rien perdre du sens de l’original, et sans donner au style de la dureté et de la sécheresse. J’ai aussi rétabli dans deux ou trois passages le véritable sens sur lequel je m’étais trompé. Si quelquefois je me suis écarté ailleurs du sens qui pourrait être adopté par d’autres, quelquefois même de celui qui a été suivi par la foule des commentateurs et des traducteurs, je crois avoir eu pour cela de bonnes raisons. En général, lorsque le sens m’a paru disputé ou douteux, j’ai choisi le plus beau, parce qu’il y a toujours lieu de croire que c’est celui de Tacite. Quelquefois, ne pouvant faire entendre sans beaucoup de paroles, à des lecteurs ordinaires, toute l’étendue du sens de l’auteur, j’ai mieux aimé en laisser entrevoir la finesse aux seuls lecteurs intelligens, que de l’anéantir dans une périphrase. Quelquefois enfin j’ai pris la liberté d’altérer un peu le sens, quand il m’a paru présenter une image ou une idée puérile ; car ma juste admiration pour Tacite ne m’aveugle pas jusqu’au point de me fermer les yeux sur un petit nombre d’endroits où il me paraît au-dessous de lui-même. Tel est, par exemple, à mon avis, ce passage de la vie d’Agricola, où Tacite oppose la rougeur du visage de Domitien à la pâleur des malheureux qu’il faisait exécuter en sa présence, et où il remarque que cette rougeur étant naturelle, préservait le visage du tyran de l’impression de la honte ; circonstance petite et frivole, qui ne me paraît digne ni du génie de l’historien, ni du tableau odieux et touchant que présente le spectacle de tant d’innocentes victimes, et du tyran qui les voit expirer.

Quoi qu’il en soit, au reste, du plan que je me suis fait dans cette traduction, je ne dois pas m’attendre qu’il soit goûté de tout le monde. En cette matière, plus qu’en aucune autre, chaque lecteur a, pour ainsi dire, sa mesure particulière, et, si l’on veut, ses préjugés, auxquels il exige qu’un traducteur se conforme. Aussi rien n’est peut-être plus rare en littérature, qu’une traduction généralement approuvée ; le fût-elle même dans son ensemble, combien les détails ne prêteraient-ils pas à la critique ? Je me trouverais fort heureux, si celle-ci pouvait obtenir le suffrage du petit nombre de gens de lettres, qui, par une connaissance approfondie du génie des deux langues, de celui de Tacite et des vrais principes de l’art de traduire, sont capables d’apprécier mon travail ; à l’égard de ceux qui croiront seulement l’être, je n’ai rien à attendre ni à exiger d’eux.

La seule grâce que je désire d’obtenir de ceux que je reconnais pour mes vrais juges, c’est de ne point se borner à relever