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usage, par une excellente syntaxe ; leur nature enfin, par l’objet du dictionnaire même. À ces trois objets principaux, on peut en joindre trois autres subordonnés à ceux-ci ; la quantité ou la prononciation des mots, l’orthographe et l’étymologie. Parcourons successivement ces six objets dans l’ordre que nous leur avons donné.

Les définitions doivent être claires, précises, et aussi courtes qu’il est possible ; car la brièveté en ce genre aide à la clarté. Quand on est forcé d’expliquer une idée, par le moyen de plusieurs idées accessoires, il faut au moins que le nombre de ces idées soit le plus petit qu’il est possible. Ce n’est point en général la brièveté qui fait qu’on est obscur, c’est le peu de choix dans les idées, et le peu d’ordre qu’on met entre elles. On est toujours court et clair quand on ne dit que ce qu’il faut et de la manière qu’il le faut ; autrement on est tout à la fois long et obscur. Les définitions et les démonstrations de géométrie, quand elles sont bien faites, sont une preuve que la brièveté est plus amie qu’ennemie de la clarté.

Mais comme les définitions consistent à expliquer un mot, par un ou plusieurs autres, il résulte nécessairement de là qu’il est des mots qu’on ne doit jamais définir, puisque autrement toutes les définitions ne formeraient plus qu’une espèce de cercle vicieux, dans lequel un mot serait expliqué par un autre mot qu’il aurait servi à expliquer lui-même. De là il s’ensuit d’abord que tout dictionnaire de langue dans lequel chaque mot sans exception sera défini, est nécessairement un mauvais dictionnaire, et l’ouvrage d’une tête peu philosophique. Mais quels sont ces mots de la langue qui ne peuvent ni ne doivent être définis ? Leur nombre est peut-être plus grand que l’on ne s’imagine ; ce qui le rend difficile à déterminer, c’est qu’il y a des mots que certains auteurs regardent comme pouvant être définis, et que d’autres croient au contraire ne pouvoir l’être : tels sont, par exemple, les mots âme, espace, courbe, etc. Mais il est au moins un grand nombre de mots qui, de l’aveu de tout le monde, se refusent à quelque espèce de définition que ce puisse être ; ce sont principalement des mots qui désignent des propriétés générales des êtres, comme existence, étendue, pensée, sensation, temps, et un grand nombre d’autres.

Ainsi, le premier objet que doit se proposer l’auteur d’un dictionnaire de langue, c’est de former, autant qu’il sera possible, une liste exacte de ces sortes de mots, qui seront comme les racines philosophiques de la langue : je les appelle ainsi pour les distinguer des racines grammaticales, qui servent à former et non à expliquer les autres mots. Dans cette espèce de liste