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m’a paru les avoir goûtés et en désirer davantage ; c’est pour le satisfaire que j’en ajoute ici un beaucoup plus grand nombre ; c’est le fruit de quelques momens de loisir que m’ont laissé des travaux très-pénibles et d’un genre tout différent. Cependant je ne prétends pas avoir extrait, à beaucoup près, des ouvrages de Tacite, tout ce qui est digne d’être remarqué. Préjugé de traducteur à part, comme il est sans comparaison le plus grand historien de l’antiquité, il est aussi celui dont il y a le plus à recueillir ; mais ce que j’offre aujourd’hui suffira, ce me semble, pour faire connaître les différens genres de beautés dont on trouve le modèle dans cet auteur incomparable, qui a peint les hommes avec tant d’énergie, de finesse et de vérité, les événemens touchans d’une manière si pathétique, la vertu avec tant de sentiment ; qui posséda dans un si haut degré la véritable éloquence, le talent de dire simplement de grandes choses, et qu’on doit regarder comme un des meilleurs maîtres de morale, par la triste, mais utile connaissance des hommes, qu’on peut acquérir par la lecture de ses ouvrages. On l’accuse, je le sais, d’avoir peint trop en mal la nature humaine, c’est-à-dire, de l’avoir peut-être trop bien étudiée ; d’être obscur, ce qui signifie seulement qu’il n’a pas écrit pour la multitude ; d’avoir enfin le style trop rapide et trop concis, comme si le plus grand mérite d’un écrivain n’était pas de dire beaucoup en peu de mots.

On ne peut traduire un homme de génie, si on ne le traduit pas vivement et d’enthousiasme ; mais si cet homme de génie est en même temps un écrivain profond, il faut du temps pour l’étudier et pour le rendre ; il me semble d’ailleurs en général, que pour éviter tout à la fois la froideur et la négligence du style dans quelque ouvrage de goût que ce puisse être, il est nécessaire et d’écrire vite et de corriger long-temps. Persuadé de ces principes, j’ai fait d’abord cet essai de traduction avec beaucoup de rapidité, et je l’ai revu ensuite avec toute l’exactitude et la rigueur dont je suis capable.

La principale chose à laquelle je me suis appliqué, a été de conserver la précision, la noblesse et la brièveté de l’original, autant que me l’a permis mon peu de talent pour lutter contre un écrivain tel que Tacite, et le faible secours d’une langue aussi difficile à manier que la nôtre, aussi ingrate, aussi traînante et aussi sujette aux équivoques. Dans les endroits où il ne m’a pas été possible d’être aussi serré que l’auteur, j’ai coupé le style pour le rendre plus vif, et pour suppléer par ce moyen, quoique imparfaitement, à la concision où je ne pouvais atteindre. J’ai taché enfin de rendre l’esprit, lorsque je n’ai pu rendre les mots. Les morceaux que j’avais déjà publiés sont re-