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les écoliers et pour les maîtres : c’est pis encore, quand on les multiplie au point d’en représenter plusieurs pendant l’année, et quand on y joint d’autres appendices encore plus ridicules, comme des explications d’énigmes, des ballets, et des comédies tristement ou ridiculement plaisantes. Nous avons sous les yeux un ouvrage de cette dernière espèce, intitulé : la défaite du Solécisme par Despautère, représentée plusieurs fois dans un collège de Paris : le chevalier Prétérit, le chevalier Supin, le marquis des Conjugaisons, et d’autres personnages de la même trempe, sont les lieutenans-généraux de Despautère, auquel deux grands princes, Solécisme et Barbarisme, déclarent une guerre mortelle. Nous faisons grâce à nos lecteurs d’un plus grand détail, et nous ne doutons point que ceux qui président aujourd’hui à ce collège, ne fissent main-basse, s’ils en étaient les maîtres, sur des puérilités si pédantesques et de si mauvais goût : il sont trop éclairés pour ne pas sentir que le précieux temps de la jeunesse ne doit point être employé à de pareilles inepties. Je ne parle point ici des ballets où la religion peut être intéressée : je sais que cet inconvénient est rare, grâce à la vigilance des supérieurs ; mais je sais aussi que, malgré toute cette vigilance, il ne laisse pas de se faire sentir quelquefois. Je conclus du moins de tout ce détail, qu’il n’y a rien de bon à gagner dans ces sortes d’exercices, et beaucoup de mal à en craindre.

Il me semble qu’il ne serait pas impossible de donner une autre forme à l’éducation des collèges. Pourquoi passer six ans à apprendre, tant bien que mal, une langue morte ? Je suis bien éloigné de désapprouver l’étude d’une langue dans laquelle les Horace et les Tacite ont écrit ; cette étude est absolument nécessaire pour connaître leurs admirables ouvrages : mais je crois que l’on devrait se borner à les entendre, et que le temps qu’on emploie à composer en latin est un temps perdu. Ce temps serait bien mieux employé à apprendre par principes sa propre langue, qu’on ignore toujours au sortir du collège, et qu’on ignore au point de la parler très-mal. Une bonne grammaire française serait tout à la fois une excellente métaphysique, et vaudrait bien les rapsodies qu’on lui substitue. D’ailleurs, quel latin que celui de certains collèges ! nous en appelons au jugement des connaisseurs.

Un rhéteur moderne, le père Porée, très-respectable d’ailleurs par ses qualités personnelles, mais à qui nous ne devons que la vérité, puisqu’il n’est plus, est le premier qui ait osé se faire un jargon bien différent de la langue que parlaient autrefois les Hersan, les Marin, les Grenan, les Comire, les Cossart et les