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collèges à s’instruire des préceptes de la langue latine. Ce temps est d’environ six ans : on y joint vers la fin quelque connaissance très-superficielle du grec : on y explique, tant bien que mal, les auteurs de l’antiquité les plus faciles à entendre ; on y apprend aussi, tant bien que mal, à composer en latin ; je ne sache pas qu’on y enseigne autre chose. Il faut pourtant convenir que dans l’Université de Paris, où chaque professeur est attaché à une classe particulière, les humanités sont plus fortes que dans les collèges de réguliers, où les professeurs montent de classe en classe, et s’instruisent avec leurs disciples, en apprenant avec eux ce qu’ils devraient leur enseigner. Ce n’est point la faute des maîtres, c’est, encore une fois, la faute de l’usage.

Rhétorique. Quand on sait ou qu’on croit savoir assez de latin, on passe en rhétorique : c’est alors qu’on commence à produire quelque chose de soi-même ; car, jusqu’alors, on n’a fait que traduire, soit de latin en français, soit de français en latin. En rhétorique on apprend d’abord à étendre une pensée, à circonduire et allonger des périodes ; et peu à peu l’on en vient enfin à des discours en forme, toujours ou presque toujours en langue latine. On donne à ces discours le nom d’amplifications ; nom très-convenable en effet, puisqu’ils consistent, pour l’ordinaire, à noyer dans deux feuilles de verbiage ce qu’on pourrait et ce qu’on devrait dire en deux lignes. Je ne parle point de ces figures de rhétorique, si chères à quelques pédans modernes, et dont le nom même est devenu si ridicule, que les professeurs les plus sensés les ont entièrement bannies de leurs leçons : il en est pourtant encore qui en font grand cas, et il est assez ordinaire d’interroger sur ce sujet important ceux qui aspirent à la maîtrise ès arts.

Philosophie. Après avoir passé sept ou huit ans à apprendre des mots, ou à parler sans rien dire, on commence enfin ou on croit commencer l’étude des choses ; car c’est la vraie définition de la philosophie. Mais il s’en faut bien que celle des colléges mérite ce nom : elle ouvre pour l’ordinaire par un compendium, qui est, si on peut parler ainsi, le rendez-vous d’une infinité de questions inutiles sur l’existence de la philosophie, sur la philosophie d’Adam, etc. On passe de là en logique : celle qu’on enseigne, du moins dans un grand nombre de collèges, est à peu près celle que le maître de philosophie se propose d’apprendre au bourgeois gentilhomme ; on y enseigne à bien concevoir par le moyen des universaux, à bien juger par le moyen des catégories, et à bien construire un syllogisme par le moyen des figures, barbara, celarant, darii, ferio, baralipton, etc.