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l’envie de paraître singulière, & pour tout dire, un peu de vanité, vous a porté à cette abdication ; vous auriez pensé autrement, si vous eussiez été plus pénétrée du sentiment & de l’amour de la véritable gloire, qui est si différent de la vanité.

Christine

Je ne voudrais pas répondre que la vanité ne fût entrée dans mon projet, car elle se glisse partout ; & elle est faite pou r tout gâter. Mais j’avois pour abdiquer un motif plus puissant, qui paroîtra peu surprenant à un Philosophe, les dégoûts & l’ennui du Trône. J’avoue cependant que j’aurais dû supporter ces dégoûts & cet ennui par la satisfaction si douce de remplir les devoirs consolans que le Trône impose. Heureusement ce Trône va être occupé par un Prince qui réparera tous mes torts, qui sentira comme moi le poids de la Couronne, mais qui saura la porter.

Descartes

Vous aviez, ce me semble, un intérêt particulier de ne pas priver les Gens de Lettres de l’asyle & de l’appui qu’ils trouvaient auprès de votre Trone, car assûrément ils n’ont pas été ingrats à votre égard.

Christine

Il est vrai, & je ne puis me le dissimuler, que si la postérité a conservé pour moi quelque estime, Je la dois au peu que j’ai fait pour les Lettres. On s’en souvient beaucoup plus que de quelques autres actions qui pourraient cependant tenir une place dans mon Histoire ; par exemple de l’influence que j’ai eue dans le Traité de Westphalie. Vous pouvez vous rappeler en effet qu’à l’occasion de ce fameux Traité vous fîtes des Vers en mon honneur.

Descartes

Oui, je me souviens que je fis d’assez mauvais Vers, & dont même on a pris la peine fort inutile de se moquer depuis ma mort, comme fi ma philosophie y avoit mis quelque prétention, & comme si tous les rimeurs de mon temps, qui se croyaient Poëtes, avaient fait de meilleurs Vers que moi, à l’exception de Corneille. Quoi qu’il en soit, mes Vers sont oubliés, comme l’obligation qu’on vous a d’avoir contribué au grand Traité qui pacifia l’Europe, & qui assura l’État de l’Empire.

Christine

J’avoue qu’on ne m’en fait aucun gré, & à parler franchement on n’est pas injuste. Ce Traité étoit plus l’ouvrage de mes Ministres que le mien. Il n’en est pas de même de la