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dire renoncé à la société ; mais du moins quand on veut insulter quelqu’un il faut être de bonne foi, et je crois qu’il n’y en a point dans cette préface. Les notes, ce me semble, sont encore pires ; il n’y en a qu’une seule, la dernière, qui m’a paru bonne ; et je ne l’ai trouvée telle, que parce qu’elle m’a rendu clairement raison du plaisir que m’avait fait le roman.

Quant au style je n’y vois rien ou presque rien à désirer ; il est plein de vérité, de naturel, de clarté, de chaleur et de force : cependant j’ai cru y remarquer, mais assez rarement, un peu de recherche ; il y a aussi des expressions hors d’usage ; il y a même de temps en temps quelques pages de mauvais goût, et quelques jugemens où l’on voit trop l’auteur. Tout ce qu’il dit sur l’opéra et sur la musique est à faire éclater de rire, tant il y met de dénigrement et de partialité. Peut-être n’en trouvera-t-on pas moins dans le Jugement que je viens de porter de son livre ; je crois néanmoins pouvoir assurer que j’ai parlé d’après ce que j’ai senti.

JUGEMENT SUR ÉMILE.


Vous exigez, madame, que je vous donne par écrit mon jugement sur le livre de l’Éducation. Sans complimens, car vous savez que je n’en sais point faire, j’aimerais bien mieux avoir votre avis que de vous dire le mien ; j’ai trop souvent éprouvé combien, dans tout ce qui tient au sentiment et à l’âme, vous avez le tact supérieur à moi. Je serais du moins content, si après m’avoir obligé à écrire des sottises, vous vouliez prendre la peine de les redresser : mais vous n’en ferez rien ; vous êtes comme Dieu, qui dit aux hommes, je veux être obéi, et qui ne s’embarrasse guère de leur en faciliter les moyens.

Ce livre m’a paru, en général, plein d’éclairs et de fumée, de chaleur et de détails puérils, de lumière et de contradiction, de logique et d’écarts ; en mille endroits l’ouvrage d’un écrivain du premier ordre, et en quelques uns celui d’un enfant. La philosophie de l’auteur est plus dans son âme que dans sa tête : quand il ne veut que raisonner il est quelquefois commun, souvent sophiste, et de temps en temps obscur ; quand son objet l’échauffe, c’est alors qu’il est tout à la fois clair, précis, intéressant et sublime. Cette différence se remarque surtout, je