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être le même que celui de la comédie ? Et serait-ce louer un auteur de lettres écrites en français, de dire qu’en le lisant on croit lire Molière ?

J’ai entendu louer quelquefois des ouvrages latins modernes, en disant que le tour des phrases était très-latin, que l’ouvrage était plein de latinismes. Je veux le croire pour un moment, quoique je doute que les modernes se connaissent en latinismes aussi parfaitement qu’ils l’imaginent. Mais Molière dont nous parlions tout à l’heure, et qu’on ne saurait trop citer ici, est plein de gallicismes ; aucun auteur n’est si riche en tours de phrases propres à la langue française ; il est même, pour le dire en passant , beaucoup plus correct dans sa diction qu’on ne pense communément : d’après cette idée , un étranger qui écrirait en français, croirait bien faire que d’emprunter beaucoup de phrases de Molière, et se ferait moquer de lui ; faute d’avoir appris à distinguer dans les gallicismes, ceux qui sont admis dans le genre le plus noble, ceux qui sont permis dans le genre moins élevé, mais sérieux, et ceux qui ne sont propres qu’au genre familier. Or voilà ce qu’il me paraît impossible de démêler quand la langue n’est pas vivante. Je dis plus ; il ne serait peut-être pas difficile de montrer par des exemples, qu’un écrivain français, qui pour paraître bien posséder sa langue affecterait dans ses ouvrages beaucoup de gallicismes (même de ceux qu’on peut se permettre en écrivant), se ferait un style qu’il faudrait bien se garder d’imiter. La diction n’aurait peut-être à la rigueur rien de répréhensible, si on prenait les phrases une à une ; mais il résulterait du tout ensemble un style familier et bourgeois, sans élégance et sans grâces, qui voudrait être simple et naïf, et ne serait qu’ignoble. Le même inconvénient n’est-il pas à craindre dans un ouvrage où l’on aurait affecté beaucoup de latinismes ?

Ce n’est pas tout ; croit-on qu’un auteur qui n’aurait absolument formé son style que sur le plus excellent modèle de latinité, sur les ouvrages de Cicéron, et qui n’emprunterait rien que de ce seul modèle, put être assuré de bien écrire en latin ? Cicéron a écrit dans bien des genres, et ces genres demandaient des styles différens ; il a écrit des dialogues qui pouvaient permettre des expressions familières ou moins relevées que les harangues ; il a écrit surtout un grand nombre de lettres, où certainement il a employé bien des tours de conversation, que le style grave et soutenu n’aurait pas permis ; que faudrait-il penser d’un écrivain qui risquerait ces mêmes phrases dans un discours sérieux ?

Mais, dit-on, nous connaissons, en latin même, la différence