Page:D’Alembert - Œuvres complètes, éd. Belin, IV.djvu/238

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

« Cependant, quoi qu’en disent les passions et la corruption du cœur, le vrai bonheur de la nature humaine consistera toujours dans la recherche de la vérité, qui nous rend dignes de la connaître, dans la connaissance de la vérité, qui l’arrête et la fixe à nos yeux, dans l’acquiescement à la vérité, qui en est la possession et la jouissance.

Le poëte[1] qui a orné par ses vers les dogmes d’une secte dangereuse[2], a dit avec son éloquence ordinaire : Heureux qui voit du rivage un navire agité par les vents ! Heureux qui, du haut d’une citadelle, voit dans la plaine un combat sanglant et opiniâtre ; mais, plus heureux mille fois celui qui, placé sur la montagne de la vérité (montagne inaccessible, où l’air est toujours pur et serein), voit au-dessous de lui, dans la vallée du monde, le désordre et les erreurs des hommes, pourvu que ce spectacle lui inspire la compassion et non l’orgueil !

Passons maintenant de la vérité philosophique à la vérité civile, qu’on appelle véracité. Ceux même à qui elle est le plus étrangère avouent que la bonne foi et la franchise sont la première vertu de l’homme, et que l’alliage du faux avec le vrai est comme celui du plomb avec les métaux précieux ; alliage qui rend ces métaux plus faciles à forger, mais en diminue le prix. Tous ces détours obliques et tortueux font ressembler l’homme aux serpens, qui, faute de pieds, rampent sur le ventre. Aussi n’y a-t-il point de vice qui couvre plus l’homme de honte que la fausseté et la perfidie, Montaigne se demande pourquoi le nom de menteur est une si grande injure : reprocher le mensonge à quelqu’un, dit-il, avec beaucoup de finesse, c’est l’accuser d’audace envers Dieu et de lâcheté envers les hommes ; car le menteur insulte son maître, et tremble devant son semblable. »

CHAPITRE II.
De la Mort.

» Les hommes craignent la mort comme un enfant les ténèbres ; cette dernière frayeur est grossie dans les enfans par des contes qui les épouvantent : il en est de même de l’autre, Penser à la mort, comme peine du péché, et comme passage une vie nouvelle, est un sentiment religieux et salutaire ; la redouter, comme une dette de la nature, est une vaine et honteuse faiblesse. Il se glisse, même dans les plus

  1. Lucrèce, liv. 2.
  2. La secte d’Épicure.