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voyons, ce sera dans des climats plus heureux, et sur un rivage plus salutaire, où César ne pourra plus nous atteindre.

(Montrant le corps de son fils.)

C’est là que ce jeune héros, enflammé de l’amour de la vertu, qui a répandu son sang avec tant de gloire pour la défense de son pays, jouira d’un sort digne de son courage. C’est là que le citoyen intrépide, qui a fait du salut de sa patrie le plus cher de ses soins, ne sera plus la victime du vice, des factions et du sort, et verra que ses généreux travaux ne sont pas sans récompense.

FIN DU QUATRIÈME ACTE.

ACTE V.
SCÈNE PREMIÈRE.

(Caton seul est assis près d’une table, dans l’attitude d’un homme qui médite profondément ; il tient le livre de Platon, de l’Immortalité de l’Ame. Auprès de lui, sur la table, est une épée nue.)

MONOLOGUE DE CATON.

Tu as raison, Platon… cela doit être comme tu le dis En effet, d’où pourrait venir en nous cette espérance flatteuse, ce désir ardent, cet élancement de notre âme vers l’immortalité ? D’où, pourrait venir cette horreur secrète, cette frayeur que nous ressentons de tomber dans le néant ? Pourquoi notre âme, en envisageant sa destruction, se retire-t-elle avec frémissement au dedans d’elle-même ? C’est la divinité qui agit au dedans de nous ; c’est le ciel lui-même qui nous montre de loin l’avenir, et qui annonce l’éternité à l’homme. Eternité ! douce et terrible pensée ! par combien de changemens inconnus et d’états nouveaux doit passer notre fragile existence ? Je vois devant mes yeux une immense perspective dont le fonds n’est que nuages et que ténèbres. Arrêtons-nous à cette réflexion consolante ; s’il y a au-dessus de nous quelque puissance suprême (et toute la nature, pleine de ses ouvrages, nous crie qu’il y en a une), elle doit aimer la vertu, et rendre heureux ce qu’elle aime. Mais quand ! mais où ! tout ce monde a été fait pour César. Je me perds dans mes conjectures : voici de quoi les terminer.

(Il prend l’épée, en tenant toujours le livre.)

Me voici doublement armé ; je tiens la vie d’une main et la mort de l’autre ; je vois en même temps le poison et le remède. L’un, dans un moment, va terminer mes jours ; l’autre m’apprend que je ne dois jamais mourir. Mon âme, sûre de son existence, défie la pointe de ce fer, et brave les coups qu’il me va