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Pensez à la tempête qui gronde autour de vous, et qui à chaque instant est près d’éclater. Vous pouvez jouir dans votre patrie des plus grands honneurs. Il ne vous en coûtera que de faire la paix avec César, et de chercher à lui plaire. Rome bénira les dieux d’une union si désirée, et verra dans Caton le second du genre humain.

CATON.

Est-ce tout ? Je ne veux point de la vie à ces conditions.

DÉCIUS.

César connaît depuis long-temps vos vertus, et voudrait conserver une vie aussi précieuse que la vôtre. Qu’il connaisse aussi tout le prix de l’amitié de Caton. A quelles conditions la lui accordez-vous ?

CATON.

Qu’il congédie ses légions ; qu’il rétablisse dans Rome la liberté publique ; qu’il se soumette aux lois et au jugement de ses concitoyens ; qu’il se présente au sénat comme un coupable ; qu’il fasse tout cela, et Caton sera son ami.

DÉCIUS.

Caton, tout l’univers parle avec admiration de votre sagesse · · · · ·

CATON.

Je dirai plus : quoique Caton n’ait jamais employé sa voix pour justifier le crime ou pour en affaiblir l’énormité, je monterai moi-même à la tribune en faveur de César, et j’espère obtenir sa grâce du peuple romain.

DÉCIUS.

Caton, ce discours est d’un conquérant.

CATON.

Décius, ce discours est d’un Romain.

DÉCIUS.

Quel ennemi de César peut s’appeler Romain ?

CATON.

Un plus grand que César : l’ami de la vertu.

DÉCIUS.

Considérez, Caton, que vous êtes dans Utique, à la tête d’un sénat faible et peu nombreux ; vous n’êtes plus au Capitole ; vous n’y faites plus entendre cette voix respectable et terrible que tant d’autres voix aimaient à seconder.

CATON.

Ah ! que César considère lui-même ce qui nous a mis dans