Page:D’Alembert - Œuvres complètes, éd. Belin, IV.djvu/23

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tant plus aisément ou plus difficilement à la suite d’une autre, que l’organe doit conserver plus ou moins la disposition qu’il a dû prendre pour prononcer la première : sur quoi il faut remarquer, que deux consonnes de suite forment chacune une syllabe, parce qu’il y a toujours nécessairement un e muet entre deux ; et comme cet e muet passe fort vite et ne se prononce presque pas, l’organe est obligé de faire d’autant plus d’effort pour marquer la double consonne. Voilà pourquoi les langues, comme l’allemand, qui abondent en consonnes mutipliées à la suite les unes des autres, sont plus rudes que d’autres langues, où cette multiplication de consonnes est plus rare.

Une langue qui abonderait en voyelles, et surtout en voyelles douces, comme l’italien, serait la plus douce de toutes. Elle ne serait peut-être pas la plus harmonieuse, parce que la mélodie, pour être agréable, doit non-seulement être douce, mais encore être variée. Une langue qui aurait, comme l’espagnol, un heureux mélange de voyelles et de consonnes douces et sonores, serait peut-être la plus harmonieuse de toutes les langues vivantes et modernes.

La mélodie du discours a beaucoup de rapport avec la mélodie musicale. Une mélodie qui n’emploirait que des intervalles diatoniques, serait languissante ; une mélodie qui n’emploirait que les intervalles les plus consonnans, comme la tierce et la quinte, serait monotone, insipide et pauvre. Il faut entremêler à propos de plus grands intervalles, et même des intervalles dissonans, pour faire naître le plaisir de l’oreille ; plaisir qui résulte de la variété, et qui n’existe jamais sans elle. Le diatonique et le consonnant doivent dominer dans la musique ; le dissonant, le chromatique doivent y être parsemés, mais avec sagesse. Par une raison semblable, la langue la plus harmonieuse sera celle où les mots seront le plus entremêlés de syllabes douces et de syllabes sonores, quand même quelques unes de ces dernières devraient être un peu rudes ; la langue la plus dure sera celle dans laquelle les syllabes sourdes ou les syllabes rudes domineront.

Il est encore dans une langue une autre source d’harmonie ; c’est celle qui résulte de l’arrangement des mots. Celle-là dépend en partie de la langue même, en partie de celui qui l’emploie ; au lieu que l’harmonie qui résulte des mots isolés dépend de la langue seule. Il ne dépend pas de moi de changer les mots d’une langue, il dépend de moi, au moins jusqu’à un certain point, de les disposer de la manière la plus harmonieuse.

Il faut pourtant avouer que les langues se prêtent plus ou moins à cette disposition. Plus une langue a de syllabes rudes ou sourdes, plus il faut d’attention à celui qui parle ou qui