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les gens de bien à qui les armes de Clodius avaient fait perdre tout leur crédit et tout leur courage ; pouvais-je penser que les gens de bien me refuseraient leur appui ? Et vous (car il m’adresse souvent la parole), après vous avoir rendu à votre patrie, devais-je m’attendre à ne plus trouver de place dans cette patrie même ? Qu’est devenu ce sénat à qui nous avons été si fidèles ? ces chevaliers romains qui vous étaient dévoués, ce zèle des villes municipales, ce cri de l’Italie entière ? Qu’avez-vous fait vous-même, mon cher ami, de cette voix secourable qui en a sauvé tant d’autres ? Serai-je le seul qu’elle ne pourra défendre, moi qui tant de fois ai bravé la mort pour vous ? »

Et ce n’est point, messieurs, en versant, comme moi, des pleurs, qu’il tient ce discours, c’est avec ce visage tranquille que vous lui voyez. Il n’accuse point ses concitoyens d’ingratitude, il avoue seulement qu’ils envisagent les dangers avec une circonspection trop timide. Pour mettre notre vie en sûreté, il a su gagner cette vile populace qui, animée par Clodius, menaçait vos biens ; craindrait-il, après avoir apaisé le peuple par ses largesses, de vous voir oublier ce qu’il a fait de grand pour la patrie ? Dans ces temps malheureux, il a souvent éprouvé la bienveillance du sénat, le zèle que vous avez tous montré pour lui, dans votre accueil et dans vos discours ; et il en portera le souvenir partout où le conduira sa destinée… Il ajoute que, pour un homme sage et courageux, la récompense des belles actions est dans ces actions même ; que, dans toute sa vie, il n’a rien fait que de grand, puisqu’il n’y a rien de plus grand que de sauver sa patrie ; qu’on est heureux, sans doute, quand on en reçoit le prix de ses concitoyens ; mais qu’on n’est point à plaindre quand ils demeurent redevables d’un bienfait si grand ; que cependant, si l’on doit mettre quelque prix aux récompenses, on est toujours assuré de la plus grande de toutes, de la gloire, qu’elle seule nous console de la brièveté de la vie par le souvenir que nous laissons ; qu’elle nous fait exister où nous ne sommes pas, et vivre même après notre mort ; qu’elle est enfin comme le degré qui nous élève jusqu’au séjour des dieux.

« Le peuple romain, dit-il, toutes les nations parleront éternellement de moi, la postérité ne m’oubliera jamais ; en ce moment même où la haine et l’envie cherchent à m’anéantir, je me vois célébré dans toutes les assemblées de la nation, et l’objet de tous les discours ; tous s’empressent de me féliciter et de me rendre grâce… Il n’y a que cent jours que Clodius a péri, et déjà la nouvelle et la joie même de cette mort ont franchi les bornes de l’Empire. Que m’importe don< le lieu