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TRADUCTION DE LA PÉRORAISON DE CICÉRON POUR MILON[1].


Voila, messieurs, assez de raisons pour la défense de Milon ; peut-être même trop de discours inutiles à sa défense. Que me reste-t-il à dire, qu’à vous supplier instamment d’accorder à ce généreux citoyen une grâce, qu’il ne sollicite pas, je l’avoue, mais que, malgré sa répugnance, je réclame et j’implore pour lui ? Quoique, parmi ces larmes que nous versons tous, vous n’ayez pas vu Milon en répandre une seule, quoique vous remarquiez toujours la même fermeté sur son visage, dans sa voix, dans ses discours, ne lui en soyez pas moins favorables ; peut-être même en est-il plus digne de vous intéresser ? En effet, si dans les combats des gladiateurs, ces hommes de la condition la plus vile, nous sentons une espèce de haine pour les lâches qui demandent la vie en supplians, tandis que nous voudrions arracher à la mort ceux qui s’y présentent avec courage ; si notre compassion tombe plutôt sur ceux qui ne cherchent pas à l’exciter, que sur ceux qui la sollicitent avec faiblesse, combien la fermeté d’un citoyen respectable doit-elle nous toucher davantage ?

Pour moi, messieurs, je meurs tous les jours de douleur en voyant Milon, et entendant ces paroles de sa bouche : « Adieu, dit-il, mes chers concitoyens, adieu pour jamais ; soyez tranquilles, soyez contens, soyez heureux ; puisse long-temps subsister la gloire de cette grande ville, et une patrie qui me sera toujours chère, de quelque manière que j’en sois traité. Que l’État et mes concitoyens jouissent sans moi de cette paix dont je ne puis jouir avec eux, quoiqu’ils me la doivent ; je vais me séparer d’eux pour toujours. Si je ne puis éprouver la reconnaissance de ma patrie, j’échapperai du moins à son injustice, et dès que j’aurai trouvé des peuples vertueux et libres, je mourrai en repos au milieu d’eux.

O ciel ! que de travaux inutiles, de projets vains, d’espérances trompeuses ! Tribun du peuple, voyant l’État opprimé, je me suis sacrifié pour le sénat qui n’existait presque plus ; pour les chevaliers romains qui étaient restés sans force ; pour

  1. Je me suis permis (et c’est peut-être un reproche à me faire) de retrancher de cette éloquente péroraison un petit nombre de phrases qui m’ont paru renfermer des détails plus intéressans pour les Romains que pour nous.