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Vaste exprimant étendue uniforme, et entraînant, comme accessoires, les idées de tristesse, ennui , etc. , je crois qu’on a pu donner au silence général d’une ville immense l’épithète de vaste. La douleur n’ayant dans Rome aucune variété d’expression, cette grande ville étant dans l’accablement le plus uniforme, je crois qu’on a pu figurer comme étendu ce silence universel, pour présenter dans un mot l’image de tous ces hommes répandus dans un grand espace, que l’excès de leur tristesse empochait de se plaindre. Vaste tient à toutes les idées que rappelle la situation des Romains. Le traducteur a dû préférer vaste silence à profond silence. non-seulement comme plus littéral, mais parce que profond n’exprimant point une étendue en surface, ne peint pas le silence régnant dans une grande ville parmi une multitude de citoyens dispersés dans plusieurs lieux : il fait entendre un silence parfait, il ne peint pas un silence répandu.

Il règne dans une armée qui marche au combat, au milieu d’une grande plaine, un vaste silence : il règne dans un cercle, dans une assemblée ordinaire, un profond silence.

Cette expression vaste silence, dans le lieu où le traducteur l’a placée, me paraît énergique, pittoresque, nécessaire ; toute autre affaiblirait Tacite. »

À ces réflexions, que j’adopte dans leur entier, j’ai cru pouvoir ajouter les suivantes, qui se trouvent dans le même journal en avril 1761.

« Quelques personnes qui seraient fâchées que La Fontaine eût tort, et encore plus que j’eusse raison, diront peut-être qu’on peut appeler vaste le silence qui règne dans la grande étendue des bois ; mais non pas celui qui règne dans une grande ville livrée à une douleur profonde et muette. Telle sera vraisemblablement la ressource des critiques, qui condamnaient d’abord absolument l’expression de vaste silence, ignorant que La Fontaine l’eut autorisée, et qui aujourd’hui n’oseront plus la condamner qu’avec la modification nécessaire pour que la phrase soit bonne chez lui et mauvaise chez moi. Je n’ai qu’un, mot à leur répondre. Ils conviennent qu’on peut appeler vaste silence un silence qui règne dans une grande étendue de terrein où personne ne parle parce que personne ne l’habite ; dès lors la grande difficulté qui était fondée sur la hardiesse de l’expression, sur l’union du mot vaste au mot silence, est entièrement levée. Il ne s’agit donc plus que de savoir si l’expression vaste silence peut s’appliquer également aux lieux inhabités, d’une grande étendue, où il n’y a personne pour parler, et aux lieux habités, aussi d’une grande étendue, où tout le monde se tait. Or je n’imagine pas que cela puisse faire une question ; j’aimerais autant demander si on peut dire également bien le silence d’une grande forêt et le silence d’une grande ville, où la douleur étouffe la voix des habitans.

On me permettra d’ajouter que l’expression dont Tacite s’est servi, dies per silentium vastus, me paraît encore plus hardie que la mienne, du moins autant qu’on en peut juger lorsqu’il est question