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ici clypeus par le mot médaillon, qui renferme à peu près cette idée.

(49). Dès qu’on découvrit la flotte. Le texte dit, ubi primum ex alto visa classis. Quelques-uns traduisent ex alto par d’un lieu élevé, d’autres l’entendent du lieu de la mer le plus éloigné d’où l’on pût voir la flotte. Je préférerais ce dernier sens, altum signifiant proprement la haute mer. D’un autre côté cependant la préposition ex semble un peu plus favorable au premier sens. Ces deux raisons opposées m’ont déterminé à ne point traduire le mot ex alto, et à me servir du mot découvrir, qui renferme celui des deux sens qu’on voudra, et peut même les renfermer tous deux ensemble.

(50). Les yeux fixés en terre. C’est le sens que Gordon et beaucoup d’autres ont donné à defixit oculos ; quelques-uns l’entendent des yeux fixés sur Agrippine : mais le premier sens offre une plus belle image, et je l’ai préféré, non-seulement par cette raison, mais parce que defigere, dans son sens propre, veut aire fixer en bas ; néanmoins l’autre sens paraît aussi pouvoir être adopté.

(51). Un vaste silence : plusieurs personnes ont trouvé cette expression hasardée ; un homme d’esprit l’a justifiée par les réflexions suivantes, qu’on peut voir dans le Journal encyclopédique de février 1761.

« J’entends par vaste une étendue sans variété, indéterminée plutôt qu’infinie.

Après cette définition du mot vaste, voyons quelles sont les idées accessoires qu’il entraîne.

Partout où règne trop l’uniformité, il n’y a point beauté, agrément, etc. L’âme ne trouve point assez à exercer ses facultés, elle ne fait que voir, elle n’a point à juger, à désirer ; par conséquent il y a tristesse, ennui, sorte d’horreur, de cet étonnement qu’imprime le grand dans tout, mais qui n’est pas toujours plaisir.

Dévaster vient de vaste. Ce dérivé prouve, à ce que je crois, ma définition ; le de dans dévaster n’est point privatif : au contraire, dévaster veut dire rendre vaste. On dévaste un pays, lorsqu’on fait disparaître les habitations, les arbres, les ornemens ; lorsqu’on eu détruit ce qui en distingue les différentes parties. Le pays était divisé en villes, bourgs, villages, bois, prés, etc. : il n’a plus ces divisions, ce n’est plus qu’une vaste étendue.

La Fontaine a donné au mot vaste le même sens que dans la nouvelle traduction, il l’a même employé comme le traducteur.

O belles, évitez
Le fond des bois, et leur vaste silence.

Ce mot est très-noble, il ne rappelle aucune idée basse.

Vaste silence est commun dans les poètes latins, anglais, italiens ; mais laissons ces autorités étrangères. Nous citerons des passages pour ceux qui ne se contentent pas de bonnes raisons.