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(5). Sous le nom de chef ; nomine principis. J’ai cru devoir traduire en cet endroit princeps par chef, et non par prince. Le nom de prince, en notre langue, désigne trop le pouvoir d’un maître ; et Auguste voulait être souverain sans en porter le nom, pour ne pas trop révolter des hommes accoutumés à la liberté et au nom de la république : c’est ce qu’on peut voir plus bas, non régno, neque dictaturâ, sed principis nomine constitutam rempublicam ; et plus bas encore Tibère est appelé caput reipuhlicæ. Princeps ne signifie proprement que le premier, le chef d’un certain nombre de personnes. Mille exemples en sont la preuve. Tacite, dans ses Mœurs des Germains, dit au chap. 11, rex, aut princeps, qu’on ne peut traduire que par ces mots, le roi, ou le chef. Le passage suivant du même ouvrage, chap. 14, est encore plus décisif. Princeps pro Victoria pugnant, comites pro principe ; où l’on voit que princeps n’est ici que le chef de ses compagnons, primus inter pares. Dans l’endroit des Annales dont il s’agit ici, Davanzati traduit princeps par principale, ce qui revient à notre traduction ; Gordon traduit prince ou chef du sénat, ce qui n’est, à mon avis, qu’une assez mauvaise périphrase ; d’ailleurs, prince du sénat ne signifie rien , ce me semble, s’il ne veut dire le chef, le premier du sénat. Enfin, du sénat n’est point dans le texte ; et assurément Tacite n’eût pas omis le mot senatûs, s’il eût été nécessaire. Pour moi, je pense qu’Auguste, lorsqu’il prenait simplement le titre de princeps, ne voulait pas se borner à être le chef du sénat, ni regardé seulement comme tel, mais à être reconnu comme chef de l’Etat, et traité en conséquence ; et que, ne voulant pas exprimer trop clairement cette prétention, il se bornait au titre vague de chef, sans y ajouter rien, afin de donner à ce mot l’étendue et le sens qu’il jugerait à propos. Nous savons de plus par les livres d’antiquités romaines, que le titre de princeps senatûs, chef ou premier du sénat, se donnait, dans le temps de la république, à celui des sénateurs que les censeurs en jugeaient le plus digne ; simple titre d’honneur qui n’aurait pas suffi à l’ambition d’Auguste, ni même à ses vues secrètes.

On nous a objecté, malgré l’évidence des remarques précédentes sur la signification du mot princeps, que les Romains avaient le terme de dux pour rendre l’idée de chef ; d’où l’on conclut que princeps ne signifie pas la même chose, suivant la judicieuse réflexion d’un journaliste ; « c’est comme si l’on disait : ensis, en latin, signifie épée, donc gladius ne le signifie pas. Horace, dans une de ses odes, appelle Auguste dux bone, ce qui prouve que le titre de princeps, adopté par Auguste, signifiait à peu près la même chose ; car un courtisan aussi fin qu’Horace, aurait-il donné à Auguste un titre au-dessous de celui que prenait cet empereur ? Que dirait-on d’un écrivain qui appellerait le roi de France comte ou marquis ? Le savant M. de Boze, dans les Mém. de l’Acad. des Belles-Lettres, tom. 26, pag. 521, traduit princeps senatûs, par le premier du sénat. En vain demanderait-on si l’on peut dire chef de Pologne, chef d’An-