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Ils enlèvent à l’ennemi sa chevelure sanglante ; c’est alors qu’ils se croient dignes d’être nés, dignes de leurs parens et de leur patrie.

Puissent ces nations persister, sinon dans l’amour de Rome, au moins dans leurs haines mutuelles ; car la destinée chancelante de l’Empire ne nous laisse rien de plus heureux à souhaiter que la discorde entre nos ennemis.

Par un singulier contraste, ils aiment l’oisiveté et détestent le repos.

Ils ont appris de nous à recevoir de l’argent.

L’époux que leurs femmes reçoivent, objet unique de leurs pensées, de leurs désirs, ne fait avec elles qu’un corps et qu’une âme ; en lui elles chérissent moins le mari que le mariage.

S’ils ont à réconcilier des ennemis, à faire des alliances, à nommer des chefs, à traiter de la guerre ou de la paix, ils en délibèrent dans des repas ; moment où l’âme s’ouvre le plus aux sentimens naturels, et s’échauffe le plus pour les grandes choses. Dans la liberté du festin, ce peuple sans art n’a plus de secrets. Le lendemain ils pèsent les avis libres de la veille. Cette conduite est très-sage ; ils délibèrent lorsqu’ils ne sauraient feindre, et décident lorsqu’ils peuvent le moins se tromper (170).

Chez eux, dit-on, se voient les colonnes d’Hercule, soit qu’Hercule y ait été, soit que nous ayons l’habitude de lier ce grand nom à tout ce qui est merveilleux. Drusus Germanicus osa tenter de s’en éclaircir ; mais l’Océan ne laissa connaître ni lui ni Hercule : personne, depuis, n’a fait de tentatives, et on a trouvé plus respectueux de croire les actions des dieux que de les savoir.

Si nous favorisons leur ivrognerie, en leur donnant de quoi satisfaire leurs vices, nous les soumettons aussi aisément que nos armes.

Ignorant l’usure, ils s’en abstiennent bien mieux que si elle leur était défendue.

Ils dédaignent d’élever ces mausolées fastueux dont on écrase les morts. Les femmes s’honorent de les pleurer, les hommes de s’en souvenir. Leurs larmes finissent bientôt, leur affliction dure long-temps.

Une paix longue et engourdissante a nourri l’indolence des Rusques ; état plus doux que durable : car des voisins remuans et vigoureux ne laissent qu’une fausse tranquillité ; on n’est cru modéré et vertueux que lorsqu’on est vainqueur.