exprimées avec effort et avec appareil ; dans la nuée des romans, que fausses peintures du monde et des hommes. Les passions que ces derniers ouvrages prétendent nous développer, paraissent bien froides à un cœur inaccessible aux passions, et peut-être plus froides encore quand on en a une ; quelle distance on trouve alors entre ce qu’on lit et ce qu’on sent !
Il m’est revenu dans l’esprit, après tant de lectures inutiles et fatigantes, qu’il y avait des livres qu’on appelle journaux, destinés à recueillir ce qu’il y a de meilleur dans les autres. J’aurais bien dû, me dis-je à moi-même, commencer par ces livres-là ; ils m’auraient épargné bien du dégoût et de la peine. J’ai donc ouvert un des deux cents journaux qu’on imprime tous les mois en Europe : ce journal faisait un grand éloge d’un livre nouveau qui ne m’était pas connu ; sur la parole du journaliste je me suis empressé de lire ce livre, qui m’est tombé des mains dès les premières pages. Alors, par curiosité seulement, car je ne pouvais plus m’en fier aux journaux, j’ai voulu voir ce que les autres journalistes disaient de cet ouvrage, si célébré par leur confrère, et si peu digne de l’être. Il était loué par les uns, déchiré par les autres ; mais par malheur ceux qui lui rendaient justice louaient d’autres ouvrages que j’avais lus, et qui ne valaient pas mieux ; j’ai vu qu’il n’y avait rien à apprendre dans la lecture des journaux, sinon que le journaliste est l’ami ou l’ennemi de celui dont il parle, et cela ne m’a pas paru fort intéressant à savoir.
On dit que la bibliothèque d’Alexandrie avait cette inscription fastueuse. Le trésor des remèdes de l’âme ; mais le trésor des remèdes de l’âme ne me paraît pas plus riche que tant de vastes pharmacopées qui annoncent des remèdes pour tous les maux du corps, et qui guérissent fort peu de maladies.
J’avouerai cependant, car il faut être juste, que dans ces archives de frivolité, d’erreur et d’ennui, j’ai distingué quelques historiens philosophes, quelques physiciens qui savent douter, quelques poëtes qui joignent le sentiment à l’image, quelques orateurs qui unissent le raisonnement à l’éloquence ; mais le nombre en est trop petit, trop étouffé par le reste, pour me réconcilier avec cette vaste collection de livres : je la compare à ces tristes maisons, destinées à renfermer des insensés ou des imbéciles, avec quelques gens raisonnables qui les gardent, et qui ne suffisent pas pour embellir un pareil séjour.
Las de m’ennuyer des pensées des autres, j’ai voulu leur donner les miennes ; mais je puis me flatter de leur avoir rendu tout l’ennui que j’avais reçu d’eux.
L’histoire a été mon coup d’essai : j’en ai fait une où je m’ex-