Page:D’Alembert - Œuvres complètes, éd. Belin, IV.djvu/155

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mauvais que ce qui est honteux, et pour qui le pouvoir, la naissance, tout ce qui est hors de l’homme, ne sont ni bien ni mal. A peine sorti de la questure, et choisi par Thrasea pour gendre, il puisa surtout l’esprit de liberté dans les mœurs de son beau-père (167). Citoyen, sénateur, époux, gendre, ami, fidèle à tous les devoirs, méprisant les richesses, inflexible dans le bien, et inaccessible à la crainte, on l’accusait de trop aimer la gloire ; car cette passion est la dernière qui s’éteint chez les sages mêmes.

Dispute d’Helvidius et de Marcellus.

L’avis d’une députation à Vespasien excita une vive querelle entre Helvidius et Marcellus[1]. Helvidius voulait que les députés fussent élus, sous serment, par des magistrats ; Marcellus, qu’on les tirât au sort ; et c’était l’avis du consul désigné. Marcellus insistait vivement, craignant la honte d’être rejeté si l’on faisait une élection. La dispute s’échauffant peu à peu, finit par des harangues violentes. « Pourquoi, disait Helvidius, ce Marcellus si éloquent et si riche redoute-t-il le jugement des magistrats, sinon par le remords de ses forfaits ? Le sort ne prononce point sur les mœurs ; c’est le suffrage et l’estime du sénat qui apprécient la conduite et la renommée. Le bien de l’État, l’honneur de Vespasien, exigent pour députés les plus honnêtes sénateurs, les plus propres à lui parler de vertu. Il fut l’ami de Thrasea, de Soranus, de Sentius ; si l’on épargne leurs accusateurs, au moins qu’on ne les lui montre pas. Le sénat lui désignera par ce jugement ceux qu’il doit estimer ou craindre. Des amis vertueux sont la vraie caution d’un bon gouvernement. Que Marcellus se contente d’avoir fait égorger par Néron tant d’hommes de bien. Impuni et même récompensé, qu’il laisse Vespasien aux honnêtes gens. » Marcellus répondit : « Qu’on attaquait l’avis du consul et non le sien ; que l’usage étant de tirer au sort les députés pour arrêter les intrigues et les haines, rien n’obligeait de l’abolir, ni d’outrager personne pour honorer l’empereur ; que tous étaient propres à cet hommage, excepté ceux dont la violence pouvait irriter le nouveau prince, encore inquiet et attentif à tous les discours, à tous les usages ; qu’il se souvenait du temps où il était né, et de la forme de gouvernement instituée par ses ancêtres, admirait le passé, se soumettait au présent, désirait de bons princes, et tolérait les autres ; que le sénat et non pas lui, avait condamné Thrasea ; que ces sacrifices étaient

  1. Accusateur de Thraesa.