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son rival. En dispersant les légions, en désarmant les cohortes, il jette tous les jours de nouvelles semences de guerre. Ce qui reste à ses troupes d’ardeur et d’audace, l’ivrognerie, la débauche et son exemple l’anéantissent. Vous commandez à neuf légions entières de Syrie, de Judée et d’Égypte, qu’aucun combat n’a détruites, qu’aucune dissension n’a corrompues ; à des soldats bien disciplinés, et vainqueurs dans les guerres étrangères ; vous avez des flottes, une cavalerie, des cohortes redoutables, des rois alliés et fidèles, et, avant tout, votre expérience.

Je ne demande rien pour moi, que de n’être pas mis après Valens et Cécina[1] ; mais, sans craindre en Mucien un rival, ne dédaignez pas de vous l’associer. Je vous préfère à moi, moi à Vitellius. Votre maison est illustrée par des triomphes ; vous avez deux fils, dont l’un est déjà capable de régner, et s’est distingué en Germanie dès sa première campagne. Il serait absurde de na pas céder l’Empire à celui dont j’adopterais le fils, si je régnais. Au reste, nous ne partagerons pas également les succès et les revers ; si nous sommes vainqueurs, j’aurai la fortune que vous me laisserez ; le péril et le malheur seront pour vous comme pour moi. Faites plus, commandez ici l’armée, et laissez-moi les risques de la guerre et des combats. Supérieurs par la discipline aux vainqueurs, que la désobéissance et l’orgueil ont énervés, la colère, la haine et la vengeance animent les vaincus[2]. La guerre même rouvrira et envenimera les plaies mal fermées du parti victorieux. Je ne compte pas moins sur l’indolence, l’ineptie et la cruauté de Vitellius, que sur votre vigilance, votre économie et votre sagesse. La guerre est d’ailleurs plus sûre pour nous que la paix ; car on est déjà rebelle quand on délibère. »


MORT DE VITELLIUS.

Vitellius, voyant Rome prise, se fait porter en chaise par les derrières du palais chez sa femme, sur le mont Aventin, dans le dessein de s’enfuir à Terracine vers son frère et ses cohortes, s’il pouvait encore se cacher un jour. Bientôt, par l’effet naturel

  1. Généraux de Vitellius
  2. Il parle des troupes d’Othon, qui, après leur défaite, avaient passé au service de Vespasien.