Page:D’Alembert - Œuvres complètes, éd. Belin, IV.djvu/150

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sagesse l'abandonne. Les soldats doivent savoir certaines choses, en ignorer d’autres. S’ils demandent raison de chaque ordre, le commandement et l’obéissance n’existent plus. Vitellius et les satellites vous inspireraient-ils, s’ils en avaient le choix, d’autre esprit que celui de sédition et de discorde ? Une armée a bien plus de succès en se soumettant à ses chefs qu’en les interrogeant, et la plus tranquille, avant le combat, est la plus brave quand il se donne. Vitellius a pour lui quelques nations et une ombre de troupes ; mais le sénat est avec nous. D’un côté est l’Etat, de l’autre ses ennemis. Croyez-vous que cette grande ville ne soit qu’un amas de maisons et de pierres ? Ces corps muets et sans âme se détruisent et se réparent ; l’éternité de l’Empire, la paix des nations, votre salut et le mien tiennent à la conservation du sénat. Rendons-le à nos descendans tel que nous l’avons reçu de nos ancêtres. C’est de lui que nos princes sont tirés comme les sénateurs le sont d’entre vous.


MORT D’OTHON.

Othon[1], décidé sur son sort, attendait la nouvelle du combat sans la craindre. Les premiers bruits le préparent à son malheur ; bientôt les fuyards le lui apprennent. L’ardeur des soldats prévint ses discours ; ils l’exhortèrent à ne point perdre courage, se trouvant encore la force de tout oser et de tout souffrir. Ce n’était point flatterie ; animés, comme par instinct, à défier la fortune, ils brûlaient avec fureur de combattre. Les plus proches embrassaient ses genoux ; les plus éloignés lui tendaient les mains. Plotius Firmus, capitaine des gardes, se distingua. « Il supplia le prince de ne pas abandonner une armée fidèle et qui l’avait bien servi ; il lui dit qu’il y avait plus de courage à supporter à l’adversité qu’à y succomber ; que le désespoir, dans le malheur, était la fin des lâches, et l’espérance la ressource des grandes âmes. » Pendant ce discours, Othon, attendrissant et affermissant tour à tour ses regards, excitait des cris de joie ou des gémissemens. Non-seulement les prétoriens, ses propres soldats, mais d’autres, arrivés de Mésie, l’assuraient que l’armée qui les suivait avait la même ardeur, et que ses légions étaient déjà dans Aquilée. On s’attendait à voir renou-

  1. Vitellius, qui disputait l’Empire à Othon, successeur de Galba, venait de livrer bataille aux généraux d’Othon, et les avait défaits.