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Helvidius et Paconius furent bannis d’Italie. Montanus fut rendu à son père, mais déclaré incapable des charges ; Eprius et Cossutianus eurent chacun cinq raille grands sesterces[1], et Ostorius douze cents[2] avec les ornemens de la questure.

On envoya sur le soir un questeur du consul à Thrasea retiré dans ses jardins. Il y avait rassemblé plusieurs personnes distinguées des deux sexes, et s’entretenait avec Demetrius, philosophe cynique : on jugeait, à leur attention et à quelques mots qu’ils laissaient entendre, qu’ils parlaient de la nature de l’âme et de sa séparation d’avec le corps. Enfin Domitius Cœcilianus, un de ses intimes amis, vint lui annoncer le décret du sénat. Les assistans s’abandonnèrent aux plaintes et aux larmes ; Thrasea les pria de se retirer, et de ne point ajouter à sa mort (154) le spectacle de leur péril ; Arria, son épouse, voulait, à l’exemple de sa mère, périr avec son mari ; il la supplia de vivre, et de ne pas priver leur fille du seul appui qui lui restait.

Ensuite il s’avança vers son portique, y trouva le questeur, et témoigna quelque joie d’apprendre que son gendre Helvidius n’était qu’exilé d’Italie ; ayant reçu le décret, il entra dans sa chambre avec Helvidius et Demetrius, et se fit ouvrir les veines des deux bras : alors priant le questeur d’approcher, et répandant à terre une partie de son sang : « Faisons, dit-il, une libation à Jupiter Libérateur. Regarde, jeune homme, et que les dieux détournent de toi ce présage ; mais tu es né dans un temps où le courage même a besoin de grands exemples.... »

[Ici finissent les Annales de Tacite ; le reste est perdu.]
PRÉFACE DE L’HISTOIRE[3].

Je commencerai cet ouvrage par le second consulat de Galba et celui de Vinius. L’histoire des sept cent vingt premières années (155) de Rome a été suffisamment écrite dans ces temps mémorables où l’éloquence et la liberté célébraient la gloire du

  1. Environ cinq cent mille livres.
  2. Environ cent vingt mille livres.
  3. L’Histoire de Tacite, composée avant les Annales, contenait depuis le règne de Galba, successeur de Néron, jusqu’à la fin du règne de Domitien. Une grande partie en est perdue.