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pour son épouse Arria Galla, laissa un testament plein de basses flatteries pour Néron ; cette femme sans honneur n’avait de louable que la beauté ; il l’avait enlevée à son ami Domitius Silius : la lâcheté du premier mari, et l’infamie de sa femme, mirent le comble au déshonneur de Pison.

Néron, pressé de se défaire de Plautius Lateranus, consul désigné, ne lui permit ni d’embrasser ses enfans, ni de choisir son genre de mort. Traîné dans le lieu destiné au châtiment des esclaves, et là égorgé par le tribun Statius, il garda courageusement le silence et ne lui reprocha pas même d’être son complice.

Ce meurtre fut suivi de celui de Sénèque, sans aucune preuve qu’il eût conspiré ; mais le tyran fut ravi de s’en délivrer par le fer, le poison n’ayant pas réussi. Natalis seul avait fait cette déposition légère : « Que, Pison l’avait envoyé à Sénèque malade, pour se plaindre de ce qu’il lui refusait l’entrée de sa maison, et l’engager à entretenir leur amitié par un commerce intime ; à quoi Sénèque avait répondu, que des entretiens fréquens et secrets nuiraient à l’un et à l’autre ; qu’au reste sa conservation dépendait de celle de Pison. » Granius Sîlvanus, tribun d’une cohorte, est chargé d’aller demander au philosophe s’il convenait du discours de Natalis et de sa réponse. Sénèque, soit à dessein, soit par hasard, était revenu ce jour-là de Campanie, et se reposait dans une de ses maisons à quatre milles de Rome ; il y était à table sur le soir avec Pauline son épouse, et deux amis, lorsque le tribun arriva, fit investir sa maison, et lui porta les ordres de l’empereur.

Sénèque répondit : « Que Pison lui avait envoyé Natalis pour se plaindre de ce qu’il refusait de le voir ; qu’il s’en était excusé sur sa santé et son amour pour le repos ; qu’il n’avait aucun sujet d’attacher sa conservation à celle d’un particulier, et que Néron, à qui il avait plus souvent parlé en homme libre qu’en esclave, savait mieux que personne qu’il n’était point flatteur. » Le tribun ayant rapporté ce discours au prince devant Poppée et Tigellinus, son conseil de cruauté, il demande si Sénèque songe à se donner la mort. Le tribun répond qu’il n’a remarqué ni crainte ni tristesse sur son visage ni dans ses paroles. On lui ordonne de repartir et d’annoncer la mort à Sénèque. Fabius Rusticus dit qu’il alla par un autre chemin trouver le préfet Fenius, lui fit part des ordres de l’empereur, lui demanda s’il obéirait, et que Fenius le lui conseilla ; tant une lâcheté fatale glaçait tous les cœurs ! car Silvanus était un des conjurés, et contribuait à grossir les crimes qu’il avait promis de punir. Cependant il n’eut pas la force de voir Sénèque, et lui fit annoncer par un centurion qu’il fallait mourir.