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Détails sur Néron.

Depuis long-temps Néron (120) brûlait de mener un char dans la lice, et montrait un désir non moins vil de chanter sur la harpe, durant ses repas, des chansons comiques ; il prétendait que c’était l’usage des rois et des généraux anciens, célébré par les poëtes, et consacré à l’honneur des dieux ; qu’Apollon présidait aux chants, et que ce dieu, révéré par ses oracles, était représenté avec une harpe, non-seulement dans les villes grecques, mais dans les temples des Romains. Sénèque et Burrhus, trop faibles contre ces deux passions réunies, favorisèrent la moins abjecte, pour le détourner de l’autre. On fit dans la vallée Vaticane une enceinte où il dressait des chevaux ; on n’y admit d’abord que des spectateurs choisis, mais bientôt après tout le peuple qui l’accablait d’éloges ; car l’empressement de la multitude pour les plaisirs devient ivresse quand c’est le prince qui les lui donne. Aussi cet avilissement public, bien loin de le dégoûter, comme on l’espérait, augmenta son ardeur. Croyant effacer son déshonneur en le partageant, il paya des jeunes gens nobles et pauvres pour monter sur le théâtre ; quoique morts, je ne les nomme point par respect pour leurs ancêtres : d’ailleurs la honte du vice est à celui qui le récompense au lieu de le réprimer. Il força de même, par de grands présens, des chevaliers romains connus à s’engager pour les combats de l’arène ; des présens sont un ordre, quand ils viennent de celui qui peut commander.

Cependant, pour ne pas se prostituer sur le théâtre public, il institua des jeux de la jeunesse, où l’on s’inscrivit en foule ; ni la noblesse, ni l’âge, ni les charges qu’on avait possédées, n’empêchaient d’exercer l’art d’un histrion grec ou latin, de jouer et de chanter jusqu’aux rôles les plus indécens ; des femmes de qualité se dégradèrent même. Alors la corruption et l’infamie furent au comble, et nos mœurs déjà si dépravées furent totalement perdues par ce ramas de bateleurs. La pudeur se conserve à peine dans des professions honnêtes ; comment, dans cette joute de tous les vices, pouvait-il subsister quelque honneur, quelque modestie, quelque reste de vertu ? Enfin Néron monta lui-même sur la scène, s’étudiant à bien jouer de la harpe, et ayant pour spectateurs ses courtisans, une cohorte de soldats, des centurions, des tribuns, et Burrhus qui louait d’un air triste.

Jaloux de briller ailleurs qu’au théâtre, il marquait aussi beaucoup de goût pour les vers, rassemblant tous ceux qui avaient quelque talent en ce genre. Il donnait même, en sortant