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DE TACITE.

ou dans la fureur. Messaline, les cheveux épars, secouait un thyrse ; et près d’elle Silius, couronné de lierre et chaussé de brodequins, branlait la tête (97) ; un chœur de musique lascive les entourait. Vectius Valens étant monté pendant cette débauche sur un arbre fort élevé, on lui demanda ce qu’il voyait : Un orage affreux venant d’Ostie, répondit-il ; soit qu’il crût le voir, soit qu’on ait fait un présage de ce mot dit au hasard.

Bientôt la nouvelle certaine se répand que Claude sait tout, et accourt pour se venger. Messaline se sauve dans les jardins de Lucullus, et Silius, pour dissimuler sa crainte, se montre au Forum. Leurs complices se dispersent ; des centurions les mettent aux fers partout où ils les trouvent, soit dans les lieux publics, soit dans leurs retraites ; Messaline (98), quoique le péril lui eut troublé la tête, prit un assez bon parti, qui lui avait réussi souvent, de se montrer à son mari : elle envoya Britannicus et Octavie[1] se jeter au cou de leur père , et pria Vibidie , la plus ancienne des vestales, d’aller demander grâce au souverain pontife[2]. Alors, accompagnée seulement de trois personnes (car sa cour avait tout à coup disparu), elle traverse Rome à pied, et prend le chemin d’Ostie dans un tombereau destiné à enlever les immondices des jardins ; l’horreur de ses forfaits empêchait de la plaindre.

Claude, de son côté, tremblait ; il ne se fiait pas à Geta, préfet du prétoire, également prêt au bien ou au mal. Narcisse, de concert avec ceux qui partageaient sa frayeur, dit que l’unique salut de César était de mettre pour ce seul jour un de ses affranchis à la tête des soldats. Il offre de s’en charger ; et pour empêcher que Claude, pendant sa route vers Rome, ne fût fléchi par Vitellius et Cecina, il demande et prend place dans la voiture du prince.

L’empereur, irrésolu, tantôt se déchaînait contre les crimes de sa femme, tantôt se rappelait son mariage et ses enfans en bas âge. Vitellius ne prononçait que ces mots : 'O crime ! ô forfait ! Narcisse le pressait de parler vrai et sans détour ; mais ne put arracher que des réponses vagues et susceptibles du sens qu’on voudrait : Cecina en fit autant. Déjà Messaline, sous les yeux de son mari, lui criait d’écouter la mère d’Octavie et de Britannicus ; mais l’accusateur murmurait les mots de Silius et de mariage ; et pour détourner les yeux de l’empereur, lui faisait lire le mémoire des débauches de sa femme. Un moment après, à l’entrée de Rome, on présenta à Claude ses enfans : Narcisse les fit éloigner ; mais il ne put écarter Vibidie, qui conjurait

  1. Enfans de Claude et de Messaline.
  2. L’empereur était souverain pontife.