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cien ; ses vers ont un autre mérite que celui de n’être pas en prose ; ils sont semés de traits heureux, et qu’on désire de retenir ; ils ont surtout un avantage dont on doit aujourd’hui leur savoir gré plus que jamais ; l’esprit y est toujours naturel et exempt de ce jargon ridicule, à la fois puéril et barbare, dont plusieurs de nos pièces modernes sont si cruellement infectées ; espèce de ramage fatigant quoique insipide, que la plupart des spectateurs ont le bonheur de ne pas entendre, que les autres voudraient oublier, et qui font demander aux gens de goût en quelle langue ces pièces sont écrites.

Son talent pour la versification, et surtout pour celle de la comédie, qui demande moins d’élévation que d’élégance, fut utile, non-seulement aux succès de ses propres pièces, mais même à celui de quelques autres. Plus d’un auteur comique, qui ne se sentait pas poète, et qui n’osait risquer sur la scène ses faibles productions, revêtues d’une prose aussi faible qu’elles, trouvait, dans Boissy, un secours prompt et sûr, pour les élever à la dignité de pièces en vers. Son peu de fortune lui permettait de chercher dans ce travail une modique ressource ; et cet écrivain pauvre a fait, sur le théâtre, la petite fortune de quelques pauvres écrivains. Il a même réussi quelquefois pour d’autres beaucoup mieux que pour lui-même ; et il aurait pu s’appliquer, à certains égards, ce vers de Philoctete :

J’ai fait des souverains, et n’ai pas voulu l’être.

Un de ces geais littéraires, qui se paraient si souvent de ses plumes, avait trouvé moyen de s’approprier une comédie manuscrite, dont le plan et l’exécution lui avaient paru promettre le succès ; mais la pièce était en prose, et le plagiaire, pour avoir au moins quelque part légitime et réelle à la gloire qu’il espérait, avait entrepris de versifier cette comédie. Il porta son travail à Boissy, qui trouva qu’il n’avait fait que mettre en mauvaises rimes la prose élégante du premier auteur, et qui lui offrit de la décorer d’une parure plus poétique. Il eut bientôt rempli ses engagemens ; la pièce fut très-applaudie, et de plus elle est restée au théâtre sous le nom de l’auteur adoptif et supposé, qui n’en était ni le premier père, ni même le second, et qui recueillit tout l’honneur du succès, sans avoir fait ni le plan de l’ouvrage, ni la prose, ni les vers. Cette comédie était celle de Zénéide, une des plus agréables féeries qu’on ait mises sur la scène. Watelet, qui en était le véritable auteur[1], témoin modeste des applaudissemens qu’elle recevait tous les jours, jouissait ainsi

  1. Watelet a depuis fait imprimer dans ses œuvres la comédie de Zénéïde, telle qu’il l’avait faite.