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DE L’ABBÉ DE CHOISY.

ment ; mais depuis la réflexion, j’ai eu beaucoup de consolation de voir ma prière exaucée

» J’ai été ce matin rendre visite, à Siam, à M. Constance, commissaire général. La conversation a presque toujours roulé sur le roi, dont il connaît toutes les grandes qualités, comme s’il avait passé sa vie à Versailles. Votre roi, m’a-t-il dit, parle comme la Sainte Écriture : il dit, et tout est fait. Vous me dites qu’il est tous les jours quatre ou cinq heures au conseil, et moi je crois qu’il y est toujours, à voir de quel air il mène ses voisins

» Avant-hier, un des Siamois, nommé Antonio Pinto, soutint dans le palais de M. l’ambassadeur des thèses en théologie, dédiées au roi : c’est au nôtre. Nos jésuites disputèrent ; mais il y eut un diacre cochinchinois qui fit des merveilles, et qui ne voulait point se taire ; on avait beau battre des mains. L’archevêque talapoin de Siam y vint, et se mit vis-à-vis du répondant. Il nous aurait fait grand plaisir de disputer, mais sa gravité l’en empêcha. Il est assez beau à nos missionnaires de faire des écoliers capables de répondre en Sorbonne. Pour moi, je voudrais qu’ils en envoyassent quelqu’un en France, pour faire une expectative à Paris. Cela ferait grand plaisir à notre célèbre professeur de théologie, M. Grandin, de voir une face noire parler si juste : De Deo uno et trino. »

(6) Un jésuite plus zélé que le P. Tachard, mais beaucoup moins au fait des dispositions du roi de Siam, voulant convertir un jour ce prince, lui disait que, « pour entendre tous nos mystères, il fallait être éclairé par l’esprit de Dieu, et qu’on obtenait cette grâce par la prière. Eh bien ! répondit le monarque, vous n’avez qu’à, de votre côté, invoquer nos dieux, après quoi vous entendrez et approuverez tout ce qui vous paraît extravagant dans notre religion et dans notre culte. » Un prince, qui raisonnait de la sorte, était bien loin des portes de l’Église que Louis XIV désirait tant de lui ouvrir.

Voici de quelle manière l’abbé de Choisy s’exprime dans son journal sur le prétendu projet de conversion dont il fut d’abord la dupe, et bientôt après trop détrompé.

« M. l’ambassadeur (le jour de son audience) a dit au roi de Siam, que le roi son maître, si fameux par tant de victoires, lui a commandé de venir trouver sa majesté aux extrémités de l’univers, pour lui présenter des marques de son estime et l’assurer de son amitié. Mais que rien n’était plus capable d’unir ces deux grands princes, que de vivre dans les sentimens d’une même croyance ; que le roi le conjurait, par l’intérêt qu’il prend à sa véritable gloire, de considérer que cette suprême majesté dont il est revêtu sur la terre, ne peut venir que du vrai Dieu, c’est-à-dire d’un Dieu tout-puissant, éternel, infini, tel que les chrétiens le reconnaissent, qui seul fait régner les rois, et règle la fortune de tous les peuples ; que c’était à ce Dieu du ciel et de la terre qu’il fallait soumettre toutes ces grandeurs, et non à ces faibles divinités qu’on adore dans l’Orient, et dont sa majesté, qui a