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des paroles que Jésus-Christ a dites de lui-même : Je suis venu mettre le feu sur la terre ; peut-être les Jésuites diront-ils, que du moins S. Ignace ne veut parler comme Jésus-Christ qu’au sens figuré, du feu de l’amour divin : mais les assassinats et les bêtes féroces de la voûte prouvent que le fondateur de la société a parlé dans le sens propre. Un janséniste ajouterait que le feu de l’amour divin est celui que les Jésuites se soucient le moins d’allumer ; mais je ne suis pas janséniste.

Je ne suis pas non plus disposé à me rétracter sur un autre endroit de mon ouvrage, dont les amis de la société se sont plaints ; c’est celui où j’ai dit que les pères Brumoi et Bougeant sont les deux derniers Jésuites qui aient eu un mérite véritable et solide. On entend bien que j’ai voulu parler des seuls Jésuites français ; cette restriction est d’autant plus nécessaire qu’il reste encore à la société, dans les pays étrangers, quelques hommes d’un mérite véritable ; je me contenterai de citer le père Boscovich, qui jouit dans les hautes sciences d’une réputation méritée, et qui par cette raison, pour le dire en passant, fut menacé de sa compagnie, pendant le règne du dernier général, d’une persécution à laquelle il eut le bonheur d’échapper par la protection de Benoît XIV. À l’égard des Jésuites de France, actuellement vivants, on m’a reproché, je le sais, de ne pas leur avoir rendu assez de justice, surtout à un prédicateur célèbre qu’il est inutile de nommer. Je ne répondrai à ce reproche qu’en exprimant tous mes regrets de ce qu’un homme, né avec des talents si supérieurs, a été forcé, par le malheur de son état, de les consacrer à un genre aussi détestable par sa forme que respectable par son objet, celui des sermons ; inconvénient d’autant plus fâcheux pour cet ingénieux écrivain, qu’il a même le malheur de ne pouvoir être proposé pour modèle dans ce mauvais genre, grâce à l’auditoire orgueilleux et frivole à qui il voulait plaire, et dont il a fallu satisfaire la futilité et le mauvais goût. À l’égard des autres Jésuites vivants, bien inférieurs à celui dont il est question, qu’on en nomme à qui la littérature doive des ouvrages tels que le Théâtre des Grecs, et l’histoire du traité de Westphalie, et je serai le premier à en faire l’éloge. Mais où sont ces ouvrages ? Serait-ce le journal de Trévoux ? On peut y trouver, je le veux, quelque érudition et quelque exactitude à certains égards, mais ni goût, ni style, ni philosophie, qualités sans lesquelles il n’y a point aujourd’hui de mérite véritable et solide. Quelle partialité d’ailleurs, et souvent quelle ineptie dans les jugements de ces journalistes contre les ouvrages qui ne plaisent pas à la société ! Qu’il me soit permis, monsieur, pour le bien des lettres et de la philosophie, de m’arrêter un moment