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le cardinal n’avait admis dans sa bibliothèque que deux ou trois livres de Jésuites, plus recommandables par leur rareté que par leur valeur ; ou peut-être que son aversion pour les Jésuites se fortifiant avec le temps, il avait jeté au feu le peu de livres qu’il avait gardé de ces pères.

III. Ce que j’ai avancé au sujet du père Petau, et des traverses qu’il essuya dans la société, a besoin aussi de quelque éclaircissement. La première époque des chagrins qu’on lui suscita fut, comme je l’ai dit, l’opinion très mal sonnante qu’il avait avancée et soutenue dans un de ses ouvrages, que les Pères des premiers siècles n’avaient pas eu sur la divinité du Verbe des idées bien nettes et bien précises : cette dangereuse assertion paraissait donner quelque atteinte aux canons du concile de Nicée ; les ennemis des Jésuites crièrent à l’arianisme ; les supérieurs du père Petau, qui avaient d’abord approuvé son livre, furent prêts, suivant leur coutume, à sacrifier leur confrère quand ils se virent en péril, et le père Petau se hâta de replâtrer son assertion hardie par une espèce de rétractation, qui au fond ne remédiait à rien, et qui mettait seulement l’auteur en contradiction avec lui-même. Cette première persécution fut bientôt suivie d’une autre plus violente : il fut accusé et convaincu d’avoir écrit des choses favorables aux erreurs des jansénistes, sous prétexte de développer la doctrine de S. Augustin ; nouvelles tracasseries de la part de ses confrères, nouvelle rétractation et nouvelles contradictions de la part du père Petau ; excédé de tant de vexations, ce savant et respectable écrivain aurait dès lors renoncé à la société, s’il l’avait pu ; peut-être même, s’il eût refusé de se rétracter, aurait-il été expulsé par ses dignes confrères ; mais, disait-il à l’abbé de Marolles, je suis trop vieux pour déménager.

Ce qu’il y a de singulier, c’est qu’on prétend que le premier dessein du père Petau avait été d’écrire contre les jansénistes ; qu’il s’était embarqué de bonne foi dans ce travail, et que la lecture de S. Augustin l’avait fait changer d’avis. Il lui arriva la même chose qu’à ce comédien qui voulant, dit-on, jouer sur le théâtre les chrétiens et les martyrs, devint chrétien et martyr tout de bon. J’ignore et je n’ai pas eu le temps d’examiner si S. Augustin est aussi favorable aux opinions des jansénistes que ceux-ci le prétendent ; mais je soupçonnerais volontiers, monsieur, qu’il ne l’est guère aux opinions des Jésuites ; car ces pères ne peuvent dissimuler, quand ils sont ou qu’ils se croient à leur aise, le peu de cas qu’ils font du docteur de la grâce ; j’en ai entendu quelques uns, très accrédités parmi eux, tourner en ridicule avec beaucoup de liberté la doctrine de ce Père de