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les plus célèbres et les plus estimes des différents parlements du royaume ont trouvé, comme vous, mon ouvrage utile à la vérité et à la raison ; qu’ils m’ont su gré d’avoir frappé également sur la société dangereuse dont nous sommes délivrés, et sur ses pitoyables antagonistes, et de n’avoir pas fait plus de grâce à un genre de sottise qu’à l’autre. Un tel suffrage est bien propre à me consoler de la décision de quelques petites sociétés, où j’ai, dit-on, été déclaré très partial, parce que j’ai appelé chacun par son nom, les Jésuites des intrigants orgueilleux, et le gazetier janséniste, un fanatique imbécile.

Si mes amis me disent vrai, monsieur, le public ne m’a pas été à cet égard moins favorable que vos confrères ; je parle de ce public aussi désintéressé qu’éclairé, qui connaît les Jésuites et les jansénistes pour ce qu’ils sont, qui voit avec plaisir que les premiers n’ont plus d’existence, et qui désire qu’on n’en laisse point ou qu’on n’en donne point aux autres.

À l’égard du jugement que les deux partis ont porté de mon ouvrage, il a été tel que je m’y attendais ; les jansénistes, mécontents de la justice que je leur ai rendue, m’ont accablé d’injures telles qu’ils les savent dire, et d’épigrammes telles qu’ils les savent faire : les Jésuites ont gardé le silence ; ils m’ont presque pardonné les vérités que j’ai dites sur leur compte, en faveur de la franchise avec laquelle j’ai parlé de leurs ennemis. On assure même que cette raison, si naturelle et si édifiante, m’a fait trouver grâce auprès des plus zélés partisans de la société dans le sacré collège : Dieu veuille qu’elle m’évite le malheur d’être mis à l’index ; je me trouverais par cette proscription en trop mauvaise compagnie, en celle des Descartes, des Bayle, des Locke, des Fleury, des Arnauld et des Nicole. L’indulgence que j’ai éprouvée jusqu’à présent de la part des Jésuites et de leurs défenseurs, me rappelle l’éloge que j’ai entendu faire au père Berruyer de la fameuse apologie de l’abbé de Prades : je suis forcé d’avouer, disait-il, que cet ouvrage est bien fait et bien écrit ; nous y sommes assez maltraités, mais nos ennemis, grâce à Dieu, le sont encore plus que nous. Il n’en faudrait pas davantage, monsieur, pour prouver la vérité de ce que j’ai eu l’honneur de vous dire, que les Jésuites sont plus accommodants que les jansénistes modernes : pour contenter ceux-ci, il ne suffit pas de louer Port-Royal et d’attaquer la bulle et la société, il faut encore dire du bien d’eux ; et Dieu m’est témoin que j’aurais désiré y trouver matière.

Il faut pourtant que, malgré ma répugnance à peindre les jansénistes d’aujourd’hui tels qu’ils sont, j’y aie passablement réussi, car ils ont l’air bien fâchés contre moi, si j’en juge par