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neur d’être mis par eux au rang des philosophes. Cette secte semble dire comme Dieu, dont elle emploie si souvent et si abusivement le langage : celui qui n’est pas pour moi est contre moi ; mais elle n’en fera pas pour cela plus de prosélytes. Les Jésuites étaient des troupes régulières, ralliées et disciplinées sous l’étendard de la superstition ; c’était la phalange macédonienne qu’il importait à la raison de voir rompue et détruite. Les jansénistes ne sont que des cosaques et des pandours, dont la raison aura bon marché, quand ils combattront seuls et dispersés. En vain crieront-ils à leur ordinaire qu’il suffit de montrer de l’attachement à la religion pour être bafoué des philosophes modernes. On leur répondra que Pascal, Nicole, Bossuet, et les écrivains de Port-Royal étaient attachés à la religion, et qu’il n’est aucun philosophe moderne, au moins digne de ce nom, qui ne les révère et ne les honore. En vain s’imagineront-ils que pour avoir succédé au jansénisme de Port-Royal, ils doivent succéder à la considération dont il jouissait ; c’est comme si les valets-de-chambre d’un grand seigneur voulaient se faire appeler ses héritiers, pour avoir eu de la succession quelques méchants habits. Le jansénisme dans Port-Royal était une tache qu’il effaçait par un grand mérite ; dans ses prétendus successeurs, c’est leur seule existence ; et qu’est-ce dans le siècle où nous vivons qu’une existence si pauvre et si ridicule ?

Aussi ne doute-t-on point que la ruine de leurs ennemis n’amène bientôt la leur, non pas avec violence, mais lentement, par transpiration insensible, et par une suite nécessaire du mépris que cette secte inspire à tous les gens sensés. Les Jésuites expulsés par eux, et les entraînant dans leur chute, peuvent adresser dès ce moment à leur fondateur S. Ignace cette prière pour leurs ennemis : Mon père, pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu’ils font.

Parlons sérieusement et sans détour ; il est temps que les lois prêtent à la raison leur secours pour anéantir cet esprit de parti, qui a si longtemps troublé le royaume par des controverses ridicules ; controverses, on ose le dire, plus funestes à l’État que l’incrédulité même, quand elle ne cherche point à faire des prosélytes. Un grand prince reprochait à un de ses officiers d’être janséniste ou moliniste, je ne sais plus lequel des deux ; on lui répondit qu’il se trompait, et que cet officier était athée ; s’il n’est qu’athée, répondit le prince, c’est autre chose, et je n’ai rien à dire. Cette réponse, qu’on a voulu tourner en ridicule, était cependant très sage ; le prince, comme chef de l’État, n’a rien à craindre de l’athée qui se tait et ne dogmatise pas. Ce malheureux, très coupable aux yeux de Dieu et de la raison,