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Les choses d’ici-bas ne me regardent plus ;
En quoi peut un pauvre reclus
Vous assister ? Que peut-il faire,
Que de prier le ciel qu’il vous aide en ceci ?
J’espère qu’il aura de vous quelque souci[1].

Il leur offrit de dire la messe pour leur obtenir de Dieu, au lieu de l’argent qu’ils demandaient, la grâce de souffrir chrétiennement leur ruine. Ces négociants, volés et persifflés par les Jésuites, les attaquèrent en justice réglée ; ils prétendirent que ces pères, en vertu de leurs constitutions, étaient solidaires les uns pour les autres, et que ceux de France devaient acquitter les dettes des missions américaines. Les Jésuites se croyaient si sûrs de la bonté de leur cause, qu’ayant le droit d’être jugés au grand conseil, ils demandèrent, pour rendre leur triomphe plus éclatant et plus complet, que le procès fût porté à la grand’chambre du parlement de Paris. Ils y perdirent tout d’une voix, et à la grande satisfaction du public, qui en témoigna sa joie par des applaudissements universels ; on les condamna à payer des sommes immenses à leurs parties, avec défense à eux de faire le commerce.

Ce ne fut là que le commencement de leur malheur. Dans le procès qu’ils soutenaient, il avait été question de savoir si en effet, par leurs constitutions, ils étaient solidaires les uns pour les autres ; cette question fournit au parlement une occasion toute naturelle de demander à voir ces constitutions fameuses, qui jamais n’avaient été ni examinées, ni approuvées avec les formes requises. L’examen de ces constitutions, et ensuite celui de leurs livres, a fourni des moyens juridiques qu’on a cru suffisants pour déclarer leur institut contraire aux lois du royaume, à l’obéissance due au souverain, à la sûreté de sa personne, et à la tranquillité de l’État.

Je dis des moyens juridiques ; car on doit distinguer dans cette cause les moyens juridiques sur lesquels la destruction des Jésuites a été appuyée, d’avec les autres motifs, non moins équitables, de cette destruction. Il ne faut pas croire que ni les constitutions de ces pères, ni la doctrine qu’on leur reproche, aient été l’unique cause de leur ruine, quoique ce soit la seule vraiment judiciaire, et la seule par conséquent dont on ait dû faire mention dans les arrêts rendus contre eux. Il n’est que trop vrai que plusieurs autres ordres ont à peu près pour principe cette même obéissance servile que les Jésuites vouent à leurs supérieurs et au pape ; il n’est que trop vrai que mille autres docteurs et religieux ont enseigné la doctrine du pouvoir de

  1. Fables de La Fontaine, liv. 7, fab. 3.