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de parler[1] ; que le sixième concile général avait anathématisé le type de l’empereur Constant, qui n’était aussi qu’une loi de silence. Les jansénistes répondaient que ce concile avait encore mieux fait en anathématisant le pape Honorius.

Le roi, occupé comme un bon père, suivant l’expression d’un auteur célèbre, à séparer des enfants qui se battaient, voulut s’appuyer d’une autorité respectable aux deux partis, et surtout au plus nombreux ; il jugea à propos de consulter sur cette question, dont toute la France était agitée, le feu pape Benoît XIV, homme d’esprit, qui n’aimait pas les Jésuites, et qui au fond méprisait cette controverse. Le pape répondit en adroit Italien ; d’un côté il ordonnait l’acceptation de la bulle, ouvrage d’un de ses infaillibles prédécesseurs, qu’il ne pouvait honnêtement condamner ; de l’autre, il déclarait en même temps que les jansénistes qui la rejetaient, n’en devaient pas moins être communiés à la mort, mais à leurs risques et fortunes, et après avoir été bien avertis du danger qu’ils couraient pour leur salut éternel. Depuis cette époque les refus de communion devinrent moins fréquents ; les jansénistes et leurs adversaires crurent avoir également le pape pour eux, et la paix sembla presque rétablie.

Elle ne fut pas même altérée par la démarche que le parlement crut devoir faire quelque temps après, d’appeler de nouveau de cette bulle Unigenitus, dont il avait enregistré malgré lui l’acceptation ; il n’appelait pas à la vérité de la doctrine de la bulle, c’eût été toucher à l’encensoir, et il connaissait trop bien les limites de ses droits : il n’appela que de l’exécution de cette bulle, la déclarant contraire à ce qu’on nomme en France les libertés de l’Église gallicane. Cet appel n’eut pas l’éclat qu’on en espérait ; il venait à la suite d’une quantité d’écrits dont la légèreté française commençait à être fatiguée. Les partisans de la bulle se moquaient même, avec indécence, de ces prétendues libertés de l’Église gallicane, en vertu desquelles le parlement, suivant les termes de ses arrêts, ordonnait aux prêtres, sous des peines infamantes, l’administration des sacrements ; ils ne voyaient pas, disaient-ils, en quoi de pareils arrêts appuyaient et favorisaient la liberté de l’Église de France, en forçant ses ministres à ce qu’ils ne croyaient pas devoir faire. Ce discours, ces querelles, les brochures sans nombre qui en résultaient, servaient d’aliment à la frivolité et à la gaieté de la nation ; on riait de l’animosité réciproque des théologiens des deux partis pour des questions qui le méritaient si peu : car cette animosité, quoique très ordinaire et de tous les temps, étonne et amuse

  1. Voyez les écrits des constitutionnaircs au sujet des refus de sacrements.