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dont il faut espérer qu’il se relèvera bientôt, grâce à l’esprit philosophique qui éclaire aujourd’hui quelques uns de ses membres, et qui leur fait regarder avec raison le fanatisme et l’ignorance comme les deux véritables fléaux du christianisme.

Cependant cette bulle, dont les Jésuites avaient été les promoteurs, et qui avait éprouvé une si grande résistance quand elle parut, se trouvait insensiblement acceptée par tous les évêques. La nation française qui crie si aisément, et qui plus aisément encore se lasse de crier, était familiarisée avec une production qu’elle avait d’abord appelée monstrueuse ; chacun la recevait en l’interprétant à son gré ; car tel est le merveilleux privilège de ces sortes de décisions de Rome, qu’on peut à toute force les entendre comme on veut, et s’y soumettre en restant dans son opinion. Le jansénisme, autrefois soutenu, au grand regret de la raison, par des hommes d’un vrai mérite, n’avait plus pour soutien que des défenseurs dignes d’une pareille cause, quelques prêtres pauvres et obscurs, inconnus jusque dans leur quartier ; la folie des convulsions, qui avait excité des querelles dans le parti même, avait achevé de les avilir en les rendant ridicules ; enfin cette secte expirante et méprisée touchait à son dernier moment, lorsqu’un enchaînement imprévu de circonstances lui a redonné tout à coup une vie qu’elle n’espérait plus. La vipère que les Jésuites croyaient avoir écrasée, a eu la force de retourner la tête, de les mordre au talon, et de les faire périr. Voici par quelle suite de causes cet étrange événement a été produit.

Les parlements, qui s’étaient élevés contre la société dès sa naissance, n’avaient eu que trop de raisons de persister dans les mêmes sentiments à son égard. Ils étaient justement blessés des avantages, du pouvoir et du crédit qu’elle avait obtenus malgré eux ; ils l’étaient surtout de cette constitution Unigenitus, dont les intrigues jésuitiques les avaient forcés d’enregistrer l’acceptation ; acceptation qu’ils jugeaient, comme nous l’avons vu, contraire aux droits de la couronne ; et ils attendaient, pour éclater, une occasion favorable, sans peut-être oser se flatter qu’elle se présentât jamais.

La querelle des sacrements refusés aux jansénistes a été la première étincelle de l’embrasement, l’Hélène de cette guerre, aussi mince par son premier objet, qu’elle est devenue importante par ses suites. Un des principaux archevêques du royaume, et un évêque de Mirepoix, son appui et son conseil, tous deux très persuadés de l’excellence de la bulle, et de la damnation de ceux qui la rejettent, résolurent, en prélats conséquents, de faire refuser aux jansénistes la communion à la mort. On avait déjà tenté ce refus dans quelques provinces, mais deux ou trois