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Dans leur désastre presque général, deux parlements les avaient conservés, ceux de Bordeaux et de Toulouse ; d’ailleurs, en les bannissant du reste du royaume, on n’avait ni aliéné ni dénaturé leurs biens ; les magistrats qui les avaient proscrits, avaient fait cette grande faute : ces pères qui avaient encore un coin de la France pour asile, profitèrent du peu de souffle qui leur restait pour préparer leur résurrection ; ils joignirent à leurs intrigues au dedans du royaume, l’appui de plusieurs souverains, et surtout de la cour de Rome que Henri IV craignait de mécontenter ; et malgré les justes remontrances des parlements, ils obtinrent leur retour peu d’années après qu’ils avaient été bannis. Henri IV fit beaucoup plus pour eux ; soit qu’ils eussent trouvé moyen de se rendre agréables à ce prince, soit qu’il espérât trouver en eux plus de facilité pour accorder avec ses amours la nouvelle religion qu’il professait, soit enfin, ce qui est plus vraisemblable, que ce grand et malheureux roi, tant de fois assassiné, et toujours en danger de l’être, craignît et voulût ménager ces renards accusés d’avoir des tigres à leurs ordres, il leur donna en France des établissements considérables, entre autres le magnifique collège de la Flèche, où il voulut que son cœur fût porté après sa mort ; enfin, comme pour les intéresser plus particulièrement à sa conservation, au milieu des bruits qui couraient contre eux, il prit un jésuite pour confesseur. On prétend qu’il en usa ainsi pour avoir dans sa cour même et auprès de lui un otage qui lui répondît de cette société suspecte et dangereuse ; on ajoute que les Jésuites n’avaient été rappelés qu’à condition de donner cet otage ; si la chose est vraie, il faut avouer qu’ils ont su en habiles gens faire servir à leur grandeur une loi humiliante en elle-même, et profiter adroitement, pour augmenter leur crédit, de la défiance et de la crainte qu’ils avaient inspirées.

Louis XIII qui régna après Henri IV, ou plutôt Richelieu qui régna sous son nom, continua de favoriser les Jésuites ; il pensait que leur zèle et leur conduite régulière serviraient tout à la fois d’exemple et de frein au clergé ; et que la permission d’enseigner qu’on leur accordait, et dont ils s’acquittaient avec succès, serait pour les universités un objet d’émulation.

Ce grand ministre ne se trompait pas. On ne peut disconvenir que les Jésuites, et surtout ceux de France, n’aient produit un grand nombre d’ouvrages utiles pour faciliter aux jeunes gens l’étude des lettres ; ouvrages dont les universités même ont profité pour en produire à leur tour de semblables, et peut-être de meilleurs encore ; les uns et les autres sont connus, et le public impartial leur a fait l’accueil favorable qu’ils méritaient.