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NOTES SUR L'ÉLOGE DE CHARPENTIER

subsister avec sa famille. Bayle prétend que ce libraire lui achetait ses ouvrages à la feuille, les grands vers à cent sols le cent, les petits à cinquante, et qu’une des filles de cet académicien traversait tout Paris à pied, pour aller porter à l’imprimeur l’ouvrage de son père, et en recevoir une très-modique rétribution. »

Vigneul Marville finit ce triste détail par renvoyer ses lecteurs au livre quia pour titre : De infortunio litteratorum, où l’on trouve, dit-il, un grand nombre de faits affligeans sur ce sujet. La liste pourrait en être fort augmentée de nos jours ; Dufrény, l’abbé Pellegrin, l’abbé d’Alainval, Delille, auteur de Timon le misanthrope, et cent autres, sont morts dans la misère, et ont été inhumés aux dépens de leurs amis ou de la charité de leur paroisse.

Mais, en offrant aux gens de lettres ce tableau affligeant de l’infortune de leurs semblables, il serait juste aussi de leur présenter le catalogue rassurant, quoique bien moins étendu, des écrivains à qui leurs ouvrages et leurs talens ont procuré une fortune honnête, quelquefois même l’opulence. Il ne serait pas moins nécessaire d’examiner si la plupart des gens de lettres malheureux ne l’ont pas été par leur faute ; si le déréglement de leur conduite, ou quelque défaut de leur caractère, n’a pas été la véritable cause des maux dont ils se sont plaints, et qu’il ne faudrait plus alors attribuer aux lettres, mais à leur personne. La question intéressante des avantages et des inconvéniens de la profession d’homme de lettres, mériterait bien d’être proposée par quelqu’une de nos Académies.


ÉLOGE D’ARMAND DU CAMBOUT
ET DE PIERRE DU CAMBOUT[1].

Le marquis de Coislin (car il ne fut duc et pair de France que depuis son entrée dans la compagnie) avait pour aïeul maternel le chancelier Seguier. Ce magistrat, dont la mémoire est si chère aux lettres[2], devenu protecteur de l’Académie après la

  1. Armand du Cambout, duc de Coislin, pair de France, chevalier des ordres du roi, et lieutenant-géneral de ses armées, né à Paris, le 1er. septembre 1635 ; reçu à la place de Claude de l’Étoile, le 1er. juin 1652 ; mort le 16 septembre 1702.

    — Pierre du Cambout, fils d’Armand du Cambout, duc de Coislin, pair de France, né en 1664 ; reçu à la place de son père, le 11 décembre 1702 ; mort le 7 mai 1710.

  2. Le chancelier Seguier aimait encore plus les livres que les lettres. On ne pouvait mieux lui faire sa cour qu’en lui présentant un ouvrage, surtout s’il avait plus d’un volume. Je crois, disait-il, que le vrai secret de me corrompre serait de me donner des livres. Bien des hommes en place seraient