Page:D’Alembert - Œuvres complètes, éd. Belin, II.djvu/160

Cette page n’a pas encore été corrigée


RÉFLEXIONS
SUR LES ÉLOGES ACADÉMIQUES.

Les princes sont, pour l’ordinaire, beaucoup plus loués durant leur vie qu’après leur mort ; la plupart des gens de lettres ont un sort contraire : tant qu’ils respirent, on les critique ou on les oublie, selon qu’ils se distinguent ou qu’ils demeurent confondus dans la foule, mais on les célèbre presque tous dès qu’ils ne sont plus : il n’est pas même rare de voir les mânes d’un écrivain illustre encensés par les mêmes plumes qui l’avaient déchiré de son vivant, et qui semblent destinées à se déshonorer également par leurs satires et par leurs éloges.

Tant d’académies dont les provinces sont inondées, et qui font perdre des hommes à l’État sans en faire acquérir aux lettres, ont rendu communs ces panégyriques funèbres. Les plus minces littérateurs ayant souvent l’avantage ou le ridicule d’appartenir à quelqu’une de ces sociétés, ce titre assure à leur mémoire une petite apothéose, à la vérité aussi obscure que leur vie.

Quelques censeurs se sont élevés contre cette multiplicité fastidieuse d’éloges. Si on les en croit, ceux qui par leurs lumières et leurs talens ont éclairé leurs contemporains, et honoré leur patrie, sont les seuls digues de nos hommages ; mais à quoi bon, disent-ils, transmettre à la postérité des noms inconnus à leur propre siècle, et leur accorder solennellement une place dans les fastes littéraires, où l’on ne pensera jamais à les chercher ? Nous avouerons sans peine que l’usage dont on se plaint a ses abus ; et quel usage n’a pas les siens ? mais les abus nous paraissent si légers en comparaison des avantages ! Si les anciens qui élevaient des statues aux grands hommes, avaient eu le même soin que nous d’écrire la vie des gens de lettres, nous aurions, il est vrai, quelques mémoires inutiles, mais nous serions plus instruits sur les progrès des sciences et des arts, et sur les découvertes de tous les âges, histoire plus intéressante pour nous quecelle d’une foule de souverains qui n’ont faitque du mal aux hommes. D’ailleurs ne craignons point que la postérité confonde les rangs ; en faisant le panégyrique d’un homme de lettres, nous lui assignons à peu près, même sans le vouloir, la place qu’il doit occuper. Quiconque aura lu les éloges de l’Académie des sciences, ne sera pas plus tenté de mettre Parent à côté de