Page:D’Alembert - Œuvres complètes, éd. Belin, II.djvu/131

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sur un auteur qui écrit l’histoire de son temps ; j’aurais beau faire l’éloge ou la satire de Christine, on pourra m’accuser de m’être trompé, comme on le ferait si je m’en tenais au simple récit, mais jamais on ne me soupçonnera de lui avoir voulu ni bien ni mal.

Cependant, pour ne pas heurter de front un préjugé assez généralement établi, ce n’est pas l’histoire de Christine que je vais donner, ce sont simplement des observations sur les principaux traits de la vie de cette princesse ; ce sera, si l’on veut, un extrait raisonné des mémoires de Christine ; une lettre sur ces mémoires ; une conversation avec mon lecteur ; je lui laisse le choix du titre.

Je fais grâce au public des lettres que Christine, âgée de cinq ans, écrivait au roi son père, et par lesquelles elle lui marquait qu’elle tâchait d’apprendre à bien prier Dieu ; lettres que le compilateur avoue n’être pas fort intéressantes pour les étrangers, mais qu’il croit l’être beaucoup pour les Suédois. Je fais grâce aussi de son horoscope et de celui de Gustave Adolphe son père, pour considérer quelques momens ce conquérant si fameux.

Tandis qu’uni avec la France, et secrètement applaudi de la cour de Rome, jalouse de la puissance autrichienne, il vengeait de l’oppression de Ferdinand les protestans de l’Empire, toute la Bavière retentissait d’oraisons, d’exorcismes, de litanies et d’imprécations contre ce prince ; des moines allemands prouvaient qu’il était l’Antechrist, et des ministres luthériens qu’il ne l’était pas. Mon auteur assure néanmoins que ce prince usa modérément de ses victoires. On prétend que l’Allemagne en fut redevable aux sentimens que Gustave avait conçus pour les catholiques en étudiant dans sa jeunesse à Pavie, sous le célèbre Galilée, que l’inquisition traita depuis comme hérétique, parce qu’il était astronome. Mais outre que le voyage de Gustave en Italie est assez douteux, il ne paraît pas qu’un pays où l’on fait un article de foi du système de Ptolomée, fût bien propre à prévenir favorablement un prince luthérien. Quoi qu’il en soit, le pape Urbain VIII, qui joignait à tout le zèle d’un souverain pontife pour sa religion, une haine encore plus grande pour l’empereur Ferdinand, assurait que les Espagnols de Charles-Quint avaient fait plus de mal à l’Eglise romaine, que les Suédois de Gustave n’en avaient fait à l’Allemagne. Il est à désirer, pour l’honneur de Gustave et de l’humanité, qu’il ait mérité l’éloge qu’on fait ici de sa modération. Si quelque chose pouvait rendre cet éloge suspect, ce serait le prétendu goût que mon auteur attribue à Gustave pour les lettres, parce qu’il avait la